14| rapprochement

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                    Mon sang se glace lorsque la question, que je redoutais le plus, m'est posée.

Non. Non je ne peux pas monter. Cet engin de malheur me fait ressentir une peur bleue et renferme des chiffres que je ne veux pas connaître.

- Est-ce obligatoire ? demandé-je sur un ton irrité.

- Si je vous prescrit des médicaments, il me faut connaître votre poids.

Oui cela me semble logique, pourtant je ne peux m'empêcher de voir cela comme un défi qu'on me demande de relever. Sauf que je ne suis pas prête, je ne me sens pas assez forte pour le faire, encore plus en présence de trois personnes supplémentaires dans la pièce.

- Mon poids se trouve dans mon dossier, dis-je calmement pour ne pas attiser l'agacement.

- Et il remonte à l'examen que vous avez passé après votre sortie de l'opéra. Entre temps il se peut que vous ayez pris du poids, ou que vous en ayez perdu, le corps ne cesse de changer vous savez.

Oh que oui, je ne le sais que trop bien. A contre cœur, je monte sur la balance et attends que les chiffres s'affichent. Le médecin se penche et note une fois de plus. Je redescends et tourne directement la tête, je ne veux pas savoir. Par la suite, il me fait exécuter une série de tests physiques jusqu'à ce qu'il me fasse asseoir de nouveau sur le lit.

- Je vais demander à tout le monde de sortir de la pièce, je dois m'entretenir avec Laurel.

Lorsque la pièce est vide, le médecin attrape un tabouret et s'assoit à son tour.

- Je crois que vous savez très bien ce que je m'apprête à vous dire.

- Et je crois que vous savez très bien que je le sais déjà.

- Laurel, savez-vous combien vous pesez ?

- Je dirais cinquante kilos à tout casser ?

- Quarante-cinq.

Sa réponse me frappe en plein cœur. Non, je ne veux pas savoir, ça suffit, oublie !

- Vous êtes en pleine anorexie et je pense que cela dure depuis des années.

- Arrêtez s'il vous plaît !

- Je ne peux pas, vous devez connaître les risques. Vous devez entamer une procédure de guérison, ça n'ira pas en s'arrangeant sinon. Je...

- Ça suffit ! je rétorque. Avant que vous ne me disiez tout ça, je me portais très bien, je n'ai jamais eu de problème avant ni même pendant mes spectacles !

- Combien de fois vous êtes-vous affamé parce que vos professeurs ou les élèves vous martyrisaient ? Ça doit cesser, vous êtes en train de vous tuer à petit feu.

- Ça suffit, retirez moi ma perfusion et renvoyez-moi chez moi.

- Je vais le faire, mais réfléchissez à notre discussion. Et n'hésitez pas à me rappeler.

Je serre la mâchoire, pleine de colère je tends mon bras pour qu'il me retire l'aiguille du bras et ne tarde pas à remettre mes chaussures pour me précipiter à l'accueil afin de signer la décharge. Mais que croit-il au juste; que c'est par plaisir que je vis avec mon corps ? Que je le fais de mon plein gré ? Il ne sait pas, il ne sait rien ! Tous les sacrifices que j'ai fait jusque là ne sont pas vains; je réussis dans ma carrière de danseuse et bientôt d'actrice. Je dois être parfaite, je me dois de le rester. Je m'arrête un instant pour reprendre mon souffle, comme si j'étais restée en apnée durant toute la consultation. Ne t'arrête pas Laurel, comme dirait Linda "nage droit devant toi". Si tu t'arrêtes, tu ne pourras jamais continuer...

Accorde moi cette danseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant