la légende de Nyirdall, Tome 1

Chapitre 51

Leerian dormit longtemps, mais ce fut loin d'être un sommeil réparateur. Toutes sortes d'images avaient hanté son esprit et un sentiment de malaise l'avait oppressé, le faisant gémir et se retourner sur les couvertures sans qu'il n'en ait eu conscience.

Ce qu'il voyait n'avait rien de concret ; sur un tableau, on aurait pu la qualifier d'art contemporain. Des couleurs se mélangeaient, créant d'étranges formes géométriques. Le rouge et le noir dominaient, mais le gris se pointait aussi... un spot gris et lumineux, ensorcelant, qui ressemblait beaucoup trop à une pleine lune. Et des bruits se faisaient entendre, des murmures et des chuchotis sans mots. Parfois, surtout quand la lune apparaissait, les chuchotements se transformaient, l'espace d'une seconde, en horrible hurlement.

Quelqu'un ou quelque chose le tira alors de son sommeil. C'était Mishi qui, revenu d'une longue journée avec ses nouvelles copines, s'était assise au coin du lit pour le secouer doucement, une main sur son bras. Leerian fut arraché de son rêve étrange et ses yeux s'agrandirent comme des soucoupes, sa bouche se tordant en un cri muet. Son regard fila de droite à gauche, en panique, avant de remarquer Mishi qui attendait simplement qu'il se réveille totalement, sans risquer le moindre mouvement brusque.

— Tu as encore fait un cauchemar, hein ?

Leerian avait le souffle court, incapable de respirer normalement. Il demeura figé, étendu dans le lit, s'efforçant de se remettre de ses émotions.

— Non, dit-il après plusieurs secondes de silence. Pas un cauchemar. C'était juste... je n'en sais rien. C'était bizarre.

— Est-ce que tu veux en parler ?

L'elfe esquissa un sourire en se redressant. Ses cheveux d'argent étaient collés à son front et son cou tant il avait sué. Il sentait l'odeur âcre qu'il dégageait et, honteux, il s'efforça de s'éloigner de Mishi pour qu'elle ne s'en rende pas compte. Mais par le nez plissé qu'elle arborait, il comprit qu'il était grillé.

— Je n'ai rien à dire, vraiment. Il n'y avait pas de scène, c'était juste... des couleurs.

Leerian baissa les yeux. C'était un mensonge qu'il lui racontait là. Un de plus. Oui, il n'y avait pas d'image, mais il savait parfaitement ce que ça voulait dire. La pleine lune arrivait. Une semaine ou un peu plus ? Dix jours, maximum. Qu'est-ce qu'il faisait encore ici, si loin de Celeyste ? C'était tellement dangereux ! Il devait retourner chez lui sans plus attendre. Ça faisait déjà beaucoup trop longtemps qu'il avait quitté sa forêt !

Mishi posa une main sur son bras, lui faisant un doux sourire. En croisant son regard, toutes ses peurs s'envolèrent d'un seul coup. Il venait seulement de remarquer que sa sirène avait complètement changé. Sa bouche s'en décrocha alors qu'il la lorgnait de haut en bas. Ses cheveux noirs et soyeux, descendant en cascade sur ses épaules, entouraient son visage lumineux, maquillé par un trait de khôl autour des yeux et d'un rouge à lèvres violet, faisant ressortir la couleur mystique de ses iris. Et pour terminer le tout, une robe dans les mêmes teintes épousait ses formes.

Depuis la première fois qu'il avait rencontrée Mishi, alors qu'il était persuadé qu'elle allait le dévorer, il l'avait trouvé magnifique. Mais cette fois, il avait l'impression de faire face à une déesse. Rien ni personne, à ses yeux, n'avait égalé une telle beauté.

— Tu aimes mon nouveau look ? dit Mishi en souriant timidement.

Leerian était complètement bouche bée, mais ses joues, devenues aussi rouges que des tomates, parlaient à sa place.

— Ouais ! dit-il après un temps de retard. Wow... tu es magnifique.

La honte le rongea alors, mais pour une raison différente à d'habitude. Il avait honte d'être couvert de sueur et de puer, de ne porter qu'un pantalon déchiré, et, en général, d'avoir l'air totalement paumé. Mishi pouffa d'un rire léger, se mit debout à côté du lit et tira Leerian par les bras pour le forcer à en faire autant.