Chapitre 46 (1/2)

69 13 32
                                    

Mishi avait visité le village aquatique de fond en comble. Maintenant qu'elle avait la protection de Meliteh, aucune n'avait osée l'approcher, ni même lui parler, et elle trouvait cela très bien. Elle en avait assez vu ; tout ce qu'elle voulait, c'était de rejoindre ses amis... mais il fallait attendre le bateau.

Il n'y avait presque rien à découvrir, ici. Des sirènes et des hippocampes partout, les méduses roses et lumineuses. Parfois, on apercevait des baleines passer au loin, Mishi entendait leur chant qui résonnait étrangement, presque mélodieusement, dans l'eau. Mais ce qui la surprit réellement, pendant cette visite, fut de retrouver quelqu'un qu'elle avait déjà rencontré avant. Le Kraken. Ce monstre géant, à mi-chemin entre la pieuvre et le calamar, semblait dormir dans une sorte d'énorme grotte où il n'y avait que quelques-uns de ses longs tentacules qui en sortaient. Ses ronflements étaient si puissants qu'ils faisaient trembler la pierre autour de lui ; parfois, un bout de roche se détachait pour lui tomber sur la tête, et ses ronflements se transformaient en grognements enragés. Pour le reste de sa visite, Mishi avait fui cet endroit comme la peste.

Meliteh avait promis deux heures, mais il s'en était écoulé au moins trois quand une sirène s'approcha de Mishi alors qu'elle flattait les hippocampes.

— Excuse-moi... tu es Mishi ?

Celle-ci se retourna avec appréhension. Elle fut alors étonnée de se retrouver nez à nez avec une sirène blonde à la queue rose ; c'était elle qui l'avait guidé jusqu'ici. Malgré son ton poli, ses traits étaient toujours aussi sérieux, comme si elle rêvait de prendre Mishi par les cheveux et de balancer son visage contre une pierre.

Mishi s'efforça de camoufler la chair de poule qui avait envahi sa peau, puis hocha la tête.

— Suis-moi, dit-elle. Ton bateau est prêt.

Mishi abandonna l'hippocampe après une dernière grattouille au-dessus de ses longues oreilles de cheval et nagea derrière l'autre qui s'éloignait déjà. Elle la mena vers un coin du village qu'elle n'avait pas visité, celui qui ressemblait un peu trop à un garage submergé pour attiser sa curiosité. Les murs en pierre, comme partout ailleurs, Mishi et la blonde passèrent par le toit pour trouver une petite équipe d'une dizaine de sirènes attroupées autour d'une minuscule chaloupe de bois. La peinture était atrocement écaillée et des huitres emplissaient la coque. Au moins, il ne semblait plus y avoir de trou. Il ne restait plus qu'à voir s'il était en mesure de flotter. Mishi ne pouvait que croiser les doigts.

— Merci beaucoup ! dit-elle en joignant ses mains en prière.

— De rien. Prends et barre-toi avec, dit la blonde sans un sourire.

Mishi lui fit un rictus. Elle n'était pas dupe ; aussitôt qu'elle serait partie, elles allaient toutes la suivre en s'imaginant qu'elle ne l'apercevrait pas. Mais c'était tant mieux pour elle qu'il la croit tellement innocente. Ils ignoraient qu'elle aussi, elle avait un plan.

Avec un dernier merci, elle empoigna la chaloupe par un coin – elle était si petite qu'elle craignait que Leerian et Danayelle puissent vraiment embarquer dedans – et les deux pagaies dans son autre main. Puis nagea vers la surface sans un regard en arrière. Elle monta en ligne droite, sauf pour contourner les méduses roses et les baleines bleues qu'elle croisa en chemin.

Le bateau la ralentissait considérablement ; pour un objet conçu pour flotter, elle devait y mettre toute sa force pour l'empêcher de couler vers le bas. Elle se sentait tellement ridicule, avec ce fardeau, qu'elle imaginait les poissons se retourner à son passage pour la dévisager. Ce qui ne réussit qu'à la faire rire nerveusement.

J'espère que personne ne va mourir par ma faute aujourd'hui...

*

la légende de Nyirdall, Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant