Chapitre 5

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"Projet", voilà comment il l'appelait. "Regarde mon nouveau projet", "ce projet sera un succès", "c'est ce projet qui me mènera à la gloire", "Tu m'appartiens, tu es mon projet !".

Raopimh revit la scène comme si elle y était encore. Son projet ? N'avait-elle toujours été que ça ?

Elle se souvient avec horreur de la façon dont il l'avait regardé, au réveil de sa 5ème opération. "C'est un succès" avait-il dit. Elle avait mal partout et il n'avait pas attendu qu'elle s'en remette complètement avant de continuer ses expériences.

Elle n'avait plus l'impression d'être totalement elle-même depuis son réveil. Elle se sentait lourde et "encombrée".

"Ce n'est pas possible que ça soit réel" s'était-elle dit. Parfois elle ne savait plus si ce qu'elle vivait était vraiment la réalité ou le fruit de son imagination. Mais dans ces cas-là, la douleur l'aidait à se remémorer que c'était bel et bien réel.

"Augmente la fréquence !", cette phrase était devenue sa hantise. Elle avait beau hurler, ça ne changeait rien. Quelle valeur avec sa vie pour lui ? Elle savait que si elle ne résistait pas, elle serait tout simplement remplacée, jusqu'à ce que ça marche.

Elle ne comprenait pas et n'avait jamais compris le but de tout ça. Elle avait l'impression de n'être plus qu'un corps. C'était ça : il avait modifié son corps à sa guise en ignorant l'être qui l'habitait...

-Est-ce qu'on pourrait éteindre s'il vous plaît ? Demande timidement Raopimh à Stéphanie alors que celle-ci écoute les infos qui tournent en boucle sur la mort du Dr.Knoffer.

-Bien sûr.

Celle-ci l'éteint en pensant qu'elle ne supporte pas de voir ces images ni d'entendre parler du docteur. En réalité, c'est à cause d'autre chose. Raopimh ne supporte pas le bruit, le son constitue un poids pour elle.

Depuis ce matin, Martha se démène pour apprendre aux adolescents les bases, comme la politesse ou le fait de manger avec des couverts. Au fond, c'est comme si rien n'avait changé. Comme s'ils étaient toujours ces enfants de 3 ans à qui il fallait tout apprendre...Sauf qu'ils en ont 14 de plus.

Cela la peine, mais elle ne veut rien montrer.

En quelques jours, elle leur a expliqué ce qu'ils auraient besoin de savoir pour leur vie au lycée.

Une fois les inscriptions faites et leurs affaires achetées. Martha les réunis autour de la table pour leur parler de la dernière étape.

-Comme vous le savez, vous allez bientôt entrer au lycée. Seulement je ne vous ai pas inscrit avec vos...Vos nouveaux prénoms parce qu'ils ne sont pas...On va dire...Pas commun. Je vous ai inscrit avec vos prénoms de naissance.

-C'est trop risqué ! On risque de faire des gaffes ! S'exclame Reth.

-Ces prénoms sont ceux que vous portiez quand vous étiez petits. Je pense que vous vous réhabituerez très vite.

Elle n'en sait rien mais elle essaie de rester positive.

-Donc Reth, tu entreras sous le nom de Kheïry. Pacp, Charlie.

-Charlie ? Interroge celui-ci.

-Oui.

Il grimace.

-Vahp ce sera Mina et Raopimh Rosa.

Cette dernière tressaille. Rosa...C'est ce nom qui l'avait perturbé le soir où Martha les a appelé. En croisant le regard de Vahp, elle comprend que c'est la même chose pour elle. Mais...Si c'était son prénom...Si c'était la seule chose qui lui restait de son identité, pourquoi l'a-t-elle si facilement oublié ?

-Pour Cohav en revanche je ne sais pas quel nom...

-Appelez-le Lukiaz. Dit Reth.

-Lukiaz ? Demande Martha.

-C'est...Je l'appelais souvent comme ça au labo...A cause de son cri...

Elle se retient de lui dire que ce n'est pas un nom commun...Devant la tristesse de son regard, elle finit par l'accepter.

-Bien. Lukiaz ne rentrera pas en même temps que vous parce qu'il faut que je règle cette histoire de prénom pour qu'on ne se doute de rien. Cela peut prendre du temps.

A cet instant, les adolescents se comportent un peu comme des automates. Ils ne savent pas ce qui les attends, ils ignorent ce qu'"aller au lycée" signifie vraiment. Pour le moment, ce sont leurs nouveaux noms qui les tracassent. Et ce sac que Martha dépose sur le canapé.

-Bon, avant que vous ne fassiez votre rentrée, il faut absolument que vous vous habilliez comme les autres adolescents.

Ils se regardent, intrigués. C'est vrai que jusqu'à maintenant, ils ne se sont pas posés de question concernant leur apparence. Au laboratoire, ils étaient tous habillés de la même façon : avec une combinaison blanche à rayures oranges. Tout le monde avait la même. Ils ressemblaient une peu à des évadés de prison, sauf qu'ils étaient victimes et non coupables.

Martha vide le sac et tout un tas de vêtements s'éparpillent sur le canapé.

-Là-dedans vous devriez trouver votre bonheur ! S'exclame-t-elle.

Pacp ou plutôt Charlie, prend un pantalon en fronçant les sourcils.

-Ils sont bizarres...Dit-il.

Après avoir vu des combinaisons et des blouses durant 14 ans, il a un peu de mal à imaginer que les gens puissent porter autre chose.

-C'est sûr que ça va vous paraître différent mais...Vous devriez en essayer quelques-uns.

Ils en choisissent quelques-uns avant de monter à l'étage pour les essayer. Dans la chambre des filles, le même malaise est palpable.

-Toi aussi tu as peur d'enlever cette combi ? Demande Vahp.

-Oui...Je déteste voir mes bras surtout...

-Je sais...

-Quand je vois mes cicatrices je peux pas m'empêcher de me souvenir...

Elle ne finit pas sa phrase.

-Ça paraît un peu fou non ? J'ai l'impression que je vais me réveiller bientôt...Continue-t-elle.

-Pareil...

-Tu te rends compte qu'on va se mêler aux gens de l'extérieur ? Je devrais être contente mais...J'ai peur qu'à tout moment Maltev nous retrouve et...

-Et qu'il nous ramène là-bas. Finit Vahp.

-C'est ça...

-Moi aussi j'ai peur parce que je pense qu'il est encore plus fou que son père et que c'est un sociopathe qui se fichera pas mal de nos vies ! Le doc au moins essayait de nous garder vivant pour pouvoir faire du profit...Il ne faisait que frôler nos limites. Lui n'hésitera pas à les dépasser.

-Tu penses que Maltev pourrait se faire arrêter ?

-Non, ces types sont des pros pour contourner la justice...Même si j'espère je reste plutôt pessimiste...T'en penses quoi ?

Vahp a eu le temps d'enfiler une tenue tandis que Raopimh n'a pas bougé d'un pouce. Elle regarde la tenue de Vahp d'un air admiratif.

-Ouah...C'est drôle...Tu as l'air plus...Vivante.

Vahp se tourne vers elle, le regard brillant.

-C'est vrai ?

-Oui. Vraiment.

Elle se tourne vers le miroir : c'est vrai que comme ça, elle a l'air différente. C'est donc cette personne que le Dr. Knoffer cachait dernière ces rayures oranges ? Vahp ne se reconnaît pas, elle a la sensation de contempler une inconnue. En croisant son regard elle se sent déterminée, déterminée à retrouver ce qu'il a essayé de lui voler.

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