Une liste. Je devais faire une liste. C'était une de mes manières à moi de me gérer lorsque mon cerveau débordait. Alors bien sûr, elles étaient toujours interminables, mais qu'est-ce que ce fût satisfaisant de barrer ce qui était fait ou les questions auxquelles on avait répondu! Évidemment, cette liste-là risquait de traîner au fond de ma poche pour un long moment encore... En réalité, je m'étais dit qu'il fallait que j'en écrive une au moment où j'avais retrouvé mes souvenirs, mais je n'en avais pas encore eu l'occasion.
J'attrapais mon carnet et mon crayon que j'avais coincé entre mon matelas et le cadre de mon lit. Forcément, quand on dormait dans un lit en hauteur, on n'avait pas de table de nuit pour y fourrer tout son barda. Et comme j'avais une vision pour le moins... Créative du rangement, j'avais glissé tout un tas de trucs, ça et là, au cas où j'en aurais besoin.
Je noircis mon papier en un rien de temps. Je me rendis rapidement compte que j'étais tellement bouleversée à la fin de ma conversation avec Sam que j'en avais oublié de poser des questions essentielles. Qui était ce Ashran? Et puis, pourquoi les élèves quittant l'orphelinat étaient-ils contraints de s'enrôler? À cause de la guerre contre les hommes? Ça ne tenait pas vraiment debout... D'ailleurs, cela faisait plus de cinquante ans qu'elle durait, si les humains étaient des êtres inférieurs, ça devrait faire belle lurette qu'elle est terminée.
Je secouais la tête, peu convaincue par mon raisonnement. Je le poussais un peu trop loin. Les enseignants ne pouvaient pas nous mentir sur un sujet si sensible et important... Si?
Je fixais mes notes sans réellement les voir. De nombreuses questions se bousculaient dans ma tête, et parmi celles que j'avais couchées sur ma feuille, une supplantait les autres: pourquoi moi? Qu'avais-je de si spécial pour mériter l'attention de Sam, du directeur Wilkerson et de ses sous-fifres? Pouvoir franchir le dôme, c'était une chose, mais j'avais du mal à croire que ce soit une raison valable, et surtout suffisante.
Je souris malgré moi. Dans les livres que je lisais, tous les protagonistes avaient quelque chose de spécial, sinon, on ne raconterait pas toute une histoire sur eux. J'adorais ces moments où l'on découvrait justement ce qui faisait de ces personnages des héros.
Une douce torpeur m'envahit. La fatigue se rappelait à mon bon vouloir. Pas étonnant puisque ma journée avait été harassante, enfin, de mon point de vue.
Je réarrangeais mes coussins avant de m'y enfoncer avec délectation. La nuit porte conseil, je verrai bien ce que je ferai demain.
***
Cela faisait déjà plusieurs jours que j'avais eu ma conversation avec Sam et rien ne s'était passé depuis. Kris n'avait pas donné signe de vie et Elora et moi faisions de notre mieux pour nous tenir à notre routine habituelle. J'avais essayé de réutiliser le saphir argenté pour échanger avec mon passeur, mais lui aussi semblait occupé, car sa voix ne s'était jamais fait entendre dans cet étrange néant où nos esprits se connectaient.
Elora m'avait écouté attentivement le lendemain des révélations du médecin. Nous avions pris soin de nous retrouver dans une clairière l'arrière des bâtiments afin d'éviter d'éventuels micros, caméras ou oreilles indiscrètes. Jason avait d'ailleurs l'air d'avoir lâché l'affaire, car il ne nous tournait pas autour comme ce à quoi nous nous attendions. Ou bien nous n'arrivions simplement pas à le repérer.
Mon amie et moi nous étions mises d'accord pour simplement attendre de nouvelles informations — plus facile à dire qu'à faire —...
J'avais l'impression qu'Elora n'avait pas trop réagi quand elle avait appris ce qui l'attendait si elle restait à l'orphelinat jusqu'à ses seize ans. Mais la connaissant, elle n'avait simplement rien voulu laisser paraître. C'était une dure à cuire. Je l'avais rarement vu céder à la panique, ou simplement à ses émotions, encore moins que moi qui m'efforçais de laisser croire que je prenais à la légère certains sujets qui me bouleversaient pourtant intérieurement. Le premier étant le mystère planant autour de mes origines et qui rejoignait la question écrite en lettres majuscules sur le petit papier qui passait de poche de veste en poches de pantalon depuis six jours.
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OtherWorld - 1. Et cognoscetis veritatem
FantasyL'OtherWorld est en guerre depuis plusieurs dizaines d'années. Les enfants ayant perdu leurs parents sont envoyés dans un orphelinat où ils peuvent étudier jusqu'à leurs 16 ans. Sayana n'a aucun souvenir d'avant son arrivée à l'établissement alors...