𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 𝚟𝚒𝚗𝚐𝚝-𝚗𝚎𝚞𝚏

760 68 2
                                    

Bonne lecture !

______________________

Peter a déjà les yeux humides quand la psy revient s'asseoir en face de lui. À la première séance, il a trouvé les deux sièges trop proches les uns des autres et a demandé s'il pouvait se reculer. Elle lui a dit de faire ce qui lui plaisait.

Et ensuite a posé des questions concernant sa volonté de mettre son dos contre le mur, et de ne pas être trop loin de la fenêtre. À présent, elle commence à avoir l'habitude. Peter est mauvais en improvisation : tout ce qui sort de sa bouche ne tient pas de sa volonté. Et quand rien ne veut sortir, il n'y peut rien non plus.

Alors il vient préparé. Il écrit tout ce qui lui vient la semaine sur une petite liste au papier jaune, puis la ressort une fois le rendez-vous arrivé.

Peter se dandine pour extraire la liste de sa poche, et renifle bruyamment.

— Je... j'ai beaucoup pensé à la Disparition, ces derniers jours.

— Ah oui ? Dites-m'en plus.

Il se racle la gorge, et en se redressant sa nuque craque un peu.

— J'en ai rêvé. La journée, j'évite de trop réfléchir parce que mon cerveau a du mal à s'arrêter : quand je commence, je sais plus comment m'arrêter. Les films que je regarde sont plutôt joyeux, histoire que je me fasse pas avaler par des... des mauvaises émotions. Je lis aussi un peu plus. Karen me fait écouter des Podcasts. Je... me distrais. Ça marche, la plupart du temps. Mais la nuit je... rêve. Et ça, j'y peux rien. Enfin si, mais je contrôle pas. Et quand j'essaye de pas dormir, May fait en sorte de rester éveiller aussi malgré tout ce que je lui dis, alors...

Il secoue la tête. Ses yeux restent fixés sur ses doigts, qu'il tord sans cesse.

— J'ai rêvé de la Disparition, du coup.

Il n'ajoute rien pendant quelques secondes, alors la psy demande :

— De quoi vous souvenez-vous, Peter ?

Cette question le fait renifler encore plus fort. Il ouvre la bouche et commence à agiter la main.

— C'est toujours cette question, vous savez ? De quoi on se souvient. Y'a des gens qui se souviennent de rien du tout : j'ai écumé tous les forums possibles pendant des semaines. Ned m'a dit qu'il se rappelait de rien, il a juste disparu puis pouf, il était de retour. Comme cligner des yeux. Rien du tout.

Il inspire profondément. Cette fois, il peut voir les sourcils de la psy se froncer.

— J'ai des pouvoirs, vous le savez. Des... super-sens. Alors je sais pas vraiment comment expliquer que j'ai tout senti. J'ai senti la mort arriver, j'ai senti chaque partie de moi disparaître. Et ensuite, j'ai senti quelque chose aussi. J'ai erré. Pendant si longtemps. J'ai... j'ai eu l'impression d'être dans le coma, pas assez pour bouger ou ouvrir les yeux, mais assez pour sentir des choses, à la surface. J'ai l'impression d'avoir vu des choses, et même si mon cerveau humain s'en souvient pas, mes sens font tout pour me le faire comprendre. Je sais que quelque chose est arrivé, mais je peux pas mettre le doigt dessus. C'est comme... voir une forme dans le coin de sa vision, mais quand on se retourne il n'y a plus rien.

Il déglutit. La dernière comparaison est assez juste, car une fois le matin arrivé il réussit à se débarrasser des dernières traces de rêve, mais c'est long. Cinq ans, c'est long.

Peter n'aurait jamais cru que son pire ennemi serait un jour le temps.

— On a tous vécu la Disparition. La moitié de la planète peut en parler, il y a tellement de groupes d'entraide, des soutiens pour les victimes : c'est un événement dont je pourrais discuter. Mais ça, ce que j'ai ressenti, je peux en parler à personne. Parce que pour le coup, je suis tout seul.

Il ne veut pas croiser son regard. Il ne relève pas la tête.

— Ça a fait tellement mal. J'ai même pas eu le temps de vraiment comprendre : j'ai un sixième sens, vous savez ? May l'appelle ma petite antenne. Je suis pas fan du terme, mais c'est à peu près ça. Une espèce de chatouillis à l'arrière de ma nuque. Mr Stark était là, je suis pas parti tout seul, mais... mais ensuite je l'étais. Juste du froid. Du vide.

Il renifle. Encore.

— Sur internet, ils traitent tous Spider-Man comme un héros. Un vrai : pas seulement pour quelques braquages et des vélos volés. Ils disent qu'il a sauvé le monde.

— Vous êtes Spider-Man, Peter. C'est de vous qu'il parle.

— Nan. Nan, c'est pas de moi qu'il parle. Parce que moi, j'ai pas vraiment réfléchi : j'ai écouté ce qu'on m'a dit, j'ai essayé de pas refaire la même erreur. La première fois aussi, j'ai mis la main sur le gantelet. J'ai essayé de le protéger. Mais j'ai pas réussi. Alors cette fois-là, quand j'ai vu que... que j'allais le perdre, que personne n'était autour de moi et que... j'ai pas pensé. J'ai pas réfléchi. J'ai...

Il inspire fort.

— Personne ne peut vraiment imaginer la puissance qu'il y avait là-dedans. Toutes ces gemmes. Mon bras...

Il l'observe attentivement. Il n'y a qu'un gant, et des doigts qui parviennent à remuer.

— Ça a fait tellement mal. Pendant un instant, j'ai regretté. J'ai pas essayé de le retirer, mais j'ai regretté. La magie a tellement embrouillé mes sens que j'ai oublié où j'étais et qui j'étais. J'ai claqué des doigts. Simplement... claqué des doigts. Il paraît que Mr Banner l'a fait aussi, et on en parle à peine sur les réseaux. On ne parle que de Spider-Man.

Peter ferme les yeux un instant.

— J'ai fait ça parce que j'ai eu peur. J'ai eu peur de tout le reste, plus que de ce qui se passerait si je mettais ma main là-dedans. Je voulais juste que tout s'arrête : et honnêtement, quand le gant a fissuré mon bras en deux, j'ai pensé que j'allais mourir. J'ai pas... j'aurais pas cru qu'il y aurait des conséquences. Que je vivrais après. Je m'en suis un peu voulu, pour tante May, mais à peine. J'étais soulagé, j'étais en colère, j'étais perdu, et j'avais tellement mal.

Il secoue la tête.

— Ils ne peuvent pas me considérer comme un héros, juste pour ça. C'est pas juste. Mr Stark l'a dit lui-même : ça aurait pu être n'importe qui d'autre.

La psy ne dit rien. Sans aucun doute car elle n'a rien à dire, mais Peter soupire. Ça fait... du bien. Ses joues sont humides, ses mains tremblent, sa gorge est tellement serrée qu'il a envie de vomir, mais au fond il se sent un tout petit peu plus léger.

Car tout ça, il ne peut pas le dire à May. Ni à Tony. Ni à personne.

— Mais c'était vous, Peter.

Il se redresse.

— C'est votre bras, votre corps, votre geste. C'est vous qui l'avez fait.

Elle sourit. C'est léger, tellement que ça peut être à peine considéré comme un sourire, mais s'en est un. C'est le premier geste un tant soit peu déplacé qu'elle s'autorise, depuis le début de leurs séances.

— Personne ne peut vous rendre votre vie d'avant. Mais le respect que les gens ont pour vous, ça vous devriez l'accepter. Ce n'est pas un paiement, et ça n'est sûrement pas à la hauteur de ce que vous méritez. Mais c'est la seule chose qu'ils ont à offrir.

Il reste un moment immobile. Un long moment, la bouche entre-ouverte, les yeux fixés sur elle. Jusqu'à ce que ses larmes se sèchent sur ses joues, que ses mains s'arrêtent de trembler. Il retombe dans son siège, le dos contre le dossier.

Cette fois, elle le laisse se calmer avant d'attaquer un autre sujet.

Elle lui demande ses projets pour Noël, et il lui en est reconnaissant.

______________________

🕷️

Will it matter when I'm gone | Peter ParkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant