Jour 13: Les flocons sur les tombes

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La première fois qu'Harry l'avait vu, il neigeait. Les flocons tombaient en virevoltant comme des danseurs qui tournicotaient sur scène. Il neigeait, et Harry n'aimant pas la neige, il était normal qu'il n'ait pas non plus aimé l'homme qui marchait dans l'allée.

Il l'avait trouvé hautain. Le menton légèrement relevé, il toisait les tombes comme pour leurs reprocher d'être ici. C'était de leur faute s'ils étaient morts, mais il n'avait pas à emmerder les autres par leur simple présence. Et s'ils avaient pu choisir des pierres tombales un peu plus gaies ! On s'emmerderait moins ici ! Déjà qu'on devait se geler le cul pour venir voir des gens qui s'en foutaient que vous soyez là puisqu'ils ne vous entendent même pas...

Mais les morts n'étaient pas les seules victimes de l'homme. Les vivants avaient l'air tout aussi méprisant, mais méprisables selon l'avis de l'autre. Lui seul pouvait passer pour un être parfait. Alors, il regardait les autres de haut, il contemplait le monde d'un podium qui n'existait que dans sa tête.

Sa simple présence était une insulte aux morts. C'était le genre d'hommes qui devaient danser sur les tombes dans leur tête. Et c'était un outrage de voir un homme vivant se moquer des décédés. Tout son corps exprimait le dégoût et la satisfaction d'être vivant. Pas comme ces malheureux enfouis six pieds sous terre.

Harry aurait pu parier toutes ses économies que l'autre n'était pas ici par choix. Qui le serait de toute façon ? Sept degrés et pas un chat dans le cimetière. Il y avait plus gaie... C'était un devoir et l'autre s'en accommodait, mais pas avec plaisir.

Mais quel paradoxe habitait ce corps. L'homme était vivant mais semblait si mort. Il aurait été allongé sur le dos dans un cercueil, les paupières closes, personne ne se serait posé de questions et on l'aurait enterré sans problème.
C'était un homme froid comme un mort. Il était constitué de glace et même le soleil, ne parviendrait pas à adoucir ses traits. Du moins, ça aurait été le cas s'il avait dédaigné à venir éclater ce pauvre cimetière vide de toute vie, mais pas de morts.
Son cœur, s'il existait, devait être entouré d'un épais brouillard de neige et enseveli sous de la poudreuse. Ses yeux avaient le pouvoir de vous glacer sur place, rendant tout geste impossible.
L'homme vous retenait prisonnier de son regard et vous étiez à la merci de sa froideur. Il était de ces flocons qui s'infiltraient dans vos vêtements et vous faisaient frissonner de froid.

Il suffisait de le fixer un peu trop longtemps pour que pour se brûler les doigts. Et Harry ne pouvait s'empêcher de regarder cet homme qui détonait dans tout ce gris qui blanchissait au fil du temps. L'homme avait fini par se retourner et avait fusillé du regard, offrant ses yeux où l'orage s'était installé à Harry. Celui-ci n'avait pas détourné les yeux et s'était même permis un sourire suffisant.

L'homme avait alors stoppé le contact et était parti du cimetière, ne voyant pas le sourire victorieux du gars avec ses fringues trop vieilles et trop grandes, assis sur le banc en bois devant la tombe de ses parents, dans le froid et la solitude.
Ce gars même qui se demandait si c'était possible de haïr une personne mais aimer son corps.

Il ne revint que le jeudi d'après, au grand dam d'Harry. Pendant six jours, la déception s'installait à chaque arrivée dans le cimetière. Pendant six jours, la neige continua de tomber au point d'avoir cinq centimètres de flocons pour bien faire crisser vos pas.
Et ce septième jour, la déception était arrivée mais repartie très rapidement. Un homme, grand, hautain et détonant parmi ces tombes ternes, marchait dans l'allée, ses pas formant des trous dans la neige.

Harry sourit. Il ne le perdit même pas quand l'homme ne le regarda pas une seule fois. En revanche, il s'élargit quand le blond partit à la quinzième minute. À croire qu'il avait fallu une semaine pour venir une minute de plus. Peut-être que dans quinze semaines, l'homme resterait une demi-heure alors...

Calendrier de l'avent 2021: Un Noël divin, c'est pas si sorcierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant