17 AVRIL

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Lundi. Honnêtement je sais toujours pas pourquoi j'ai pas repoussé Fatima. J'ose espérer qu'elle a pas le sida car j'ai aucune envie de passer le reste de ma vie à crever à petit feu. Tout ce que je sais c'est que je suis sur un matelas miteux, dans un studio miteux, sans mes fringues avec une nana couchée sur ma poitrine et une clope entre les lèvres. J'ai pas envie de rester ici, je suis pas amoureuse de Fatima et je sais qu'elle non plus. Au fond on a juste fait ça pour passer le temps car on en avait marre de se défoncer, sans plaisir, sans réelle envie, juste pour dire que. Je pense à Dylane et j'ai presque honte d'avoir fait ça alors que j'ai attendu dix-sept putains d'années pour tomber amoureuse.

Pour la première fois depuis au moins trois jours je rallume mon téléphone. C'est que quand je vois le nombre de messages et d'appels manqués de Dylane, Théo et Loup que je commence à réaliser l'ampleur de ma connerie. Je pousse doucement Fatima sur l'autre côté du matelas, elle dort à poings fermés. Je ramasse vite fait mes fringues et je me rhabille. J'ai aucune idée de ce que je foutais avec un t-shirt Janis Joplin quand j'ai débarqué dans cette ville de merde mais en tout cas il a tellement traîné par terre que c'est presque s'il sent pas la mort. J'enfile mes converses sans prendre la peine de défaire les lacets et je récupère mon sac resté près de l'évier. Je m'arrête face à Fatima une bonne dizaine de secondes pour réfléchir avant de me décider à faire le truc le plus malhonnête de toute ma vie. Je soulève la latte de plancher cassée et je fais mon petit marché. Je cache le tout dans mon sac et je fous le camp comme une voleuse, sans même prendre la peine de cacher ce que je viens de faire.

J'ai peut être un peu honte de ce que j'ai fait avec le recul. J'ai presque eu mal au coeur quand Fatima est sortie à moitié à poil dans la rue pour me courir après. Je crois que j'ai jamais couru aussi vite de toute ma vie, j'ai faillit me faire écraser par une bonne dizaine de voitures en traversant la grande route mais je suis arrivée en un seul morceau à la gare. Je suis allée comme si de rien était à la voie E et j'ai attendu sur un banc que le train pour lequel j'avais réservé une place ce matin arrive. Le trajet me paraît interminable, j'ai tellement peur qu'un flic débarque et contrôle les bagages, ce serait la prison direct. La vieille assise à côté de moi m'a reluqué sous tous les angles avant de me lâcher un « vous devriez rentrer chez vous au plus vite », je sais pas si ça m'a fait flippé ou si ça m'a fait plaisir que quelqu'un m'accorde de l'attention pour autre chose que mes clopes.

Il est midi, le train entre en gare. Je descends derrière la mamie de la place d'à côté et elle me fait un petit sourire avant de partir retrouver un vieux. Elle a de la chance que quelqu'un soit venu la chercher, moi j'ai personne à prévenir. On est lundi, Maman est au travail, Théo, Dylane et Loup au lycée. J'ai perdu les clés de l'appart, je peux pas rentrer. C'est dans ces moments là que je me hais.

Il est dix sept heures, j'ai passé l'après midi à déambuler en ville. J'ai piqué un bouquet de fleurs chez un fleuriste et j'ai tracé vers le cimetière. Ça faisait longtemps que j'y avais pas mis les pieds, au moins depuis un an. Vu comment la tombe est encore fleurie presque dix ans après j'en ai conclu que Maman ou Théo y passe encore souvent. J'avais jamais fait attention à la photo sur la plaque mais c'est franchement pas la meilleure, on dirait qu'il a juste envie de se tirer une balle. Quand j'y repense peut être qu'il en avait envie au fond. C'est pas facile de faire semblant quand la mère de tes gosses te demande d'être clean mais que tu sais que t'y arrives pas.

Dix sept heures trente, ça fait dix minutes que j'attend devant le lycée que les gens sortent. Je sais même pas qui j'attend. Je pense que ça va se jouer à qui sort en premier. Les gens me regardent comme si je revenais d'entre les morts, la plupart des ados de ce bahut savent qui je suis donc j'imagine que mon absence est pas passée inaperçue et que les rumeurs vont bon train. C'est Loup qui sort le premier. Il s'allume une clope et regarde ses notifications. Je décide - pour une fois dans ma vie - de me conduire en humain mature et je m'avance vers lui. J'ai un peu honte, tous les gens nous regardent. Il dit qu'il s'est inquiété et qu'il a eu une explication avec Paula. Il dit qu'il est désolé. Il veut savoir où j'étais. J'ai essayé de pas trop m'étaler. Je lui ai expliqué les gros traits en effaçant les dernière dix-huit heures. J'ai pas envie de lui en parler maintenant. Et surtout pas de la MDMA. On sait tous les deux comment ça s'est finit la dernière fois. J'ai pas vraiment le temps de finir mon histoire que Théo débarque et me met sa main dans la gueule. J'avoue que je l'ai mérité mais il y est allé fort. Devant tout le monde en plus. Il m'accuse d'avoir fuit mes responsabilités et de l'avoir laissé seul avec Maman. Il dit qu'elle veut que l'on ai une explication tous les trois, qu'elle veut nous parler de choses importantes. J'ai demandé à Loup où est Dylane mais il m'a dit qu'elle était malade. Je passerai la voir demain si je peux.

ALICEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant