9 MAI

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Mardi. Je déteste avoir des gens chez moi, je suis pas le genre de nana qui propose d'organiser la soirée chez elle quand y a pas d'autre choix, je suis plutôt celle qui dit qu'elle peut pas même si c'est faux. Je sais pas si c'est parce que j'ai honte de l'état de ma chambre ou juste de ma famille. C'est horrible d'avoir honte de sa famille, on est sensé les aimer plus que tout mais j'avoue que j'ai toujours eu du mal avec cette idée.

Déjà quand j'étais môme j'étais pas comme les autres gamines à balancer des « ma famille » quand on me demandait ce que j'aimais le plus, je disais plutôt un truc du style « mon chat » alors que je n'en avais même pas. La seule fois où j'ai invité quelqu'un à la maison j'avais 7 ans et demi, c'était une gamine de mon âge qui s'appelait Juliette, ça s'était super mal passé. Pour moi ma famille était complètement normale, une mère de 26 ans,  un père d'à peine 25 et un frère de 5 ans. On avait une toute petite maison héritée de ma grand tante paternelle ou un truc comme ça, c'était le bordel, y avait des cartons de pizza par terre, une vieille odeur de tabac froid et de weed qui flottait en permanence dans l'air, la vaisselle prenait racine dans l'évier, le couloir était tagué et les rideaux étaient tout le temps fermés. Je me rappelle aussi que ce jour là la guitare de Papa traînait dans le salon au milieu des magasines de musique et des paquets de cacahuètes, ça me fait rire quand j'y pense parce que c'était tellement le bordel qu'il disait que c'était exactement pareil que dans sa tête.

La première chose que Juliette m'a dite en rentrant c'était « elle est où ta maman ? » et franchement j'en savais rien. Au bout d'une heure elle a voulu appeler sa mère pour qu'elle vienne la chercher, ça m'a fait de la peine parce qu'au téléphone elle disait que la maison lui faisait peur alors que j'avais jamais été autant impliquée dans quelque chose que pour cet après midi là. Au final sa mère est arrivée dix minutes plus tard, elle a halluciné quand elle a vu l'état de la maison, j'ai même cru qu'elle allait faire un arrêté cardiaque. Elle a prit sa fille par la main et elle est partie en disant que Papa était un irresponsable et qu'on avait de la chance qu'elle n'appelle pas les services sociaux. Je me rappelle que j'ai beaucoup pleuré ce jour là, je m'étais donné tant de mal pour que tout soit parfait et ma pseudo amie n'était même pas restée deux heures. Papa avait même fait un gâteau alors qu'il détestait cuisiner, tout ça pour qu'on le menace d'appeler les services sociaux, on pouvait dire beaucoup de chose de lui mais il n'en avait pas rien a foutre de moi et il se donnait du mal pour essayer d'être comme les autres parents. Au final on a mangé le gâteau à deux et le lendemain toute l'école était au courant. Bref, tout ça pour dire que je hais Dylane à cet instant, pourquoi fallait il qu'elle veuille venir à la maison ?

Si je ne veux pas me retrouver célibataire encore une fois il fallait que j'accepte, alors on est monté dans le bus direction « Hôpital Est ». J'aime pas trop l'idée qu'elle se montre avec moi dans ce quartier surtout comme elle est. C'est pas une fille qui passe inaperçue avec son style, son visage et tout le reste, c'est même plutôt le genre de fille pour qui on se retourne. Elle contraste parfaitement avec moi, sa robe colorée par dessus un t-shirt blanc style petite fille sage avec ses cheveux blonds qui lui donnent des aires d'ange, alors que j'ai clairement des lunettes de soleil et un t-shirt à l'effigie d'un bonhomme en train de twerker sous un cardigan vert kaki qui doit traîner sur mon parquet depuis une semaine et demie. Je me demande encore comment elle fait pour assumer de sortir avec moi, voire même d'être vue avec moi.

*

Coup de chance, il n'y a personne à la maison, je lui propose quelque chose à boire juste par politesse, elle me demande un jus de raisin avec une paille sauf que c'est à peine si on a un fond de jus de pomme. Je l'emmène dans ma chambre pour pas qu'elle voit la pile de carton non déballée dans ce qui ressemble au salon mais je me rend vite compte que c'est une grosse erreur. Mon lit se résume à un matelas posé sur le sol, il y a des fringues partout par terre, des esquisses de chansons et de dessins, quelques livres qui ne sont même pas à moi, une chaîne stéréo et des piles de CD, les plantes sont en fin de vie, le mur est fissuré, il y a même des bouteilles d'eau que je n'ose même plus boire un peu partout, sans oublier les emballages de nouilles instantanées et de compotes, ainsi que la guitare branchée en permanence qui dort avec moi comme la chambre est minuscule. Mais le pire reste de loin mon sac remplit de drogues en tout genre posé à côté du lit et le cendrier ne contenant pas que des clopes.

« T'as fais le test de dépistage ? » non, « tu consommes quoi en ce moment ? » de l'hero', « t'as peur pour Loup ? » oui, « t'as peur pour toi ? » oui, « tu veux te flinguer ? » oui. Ça c'est ce que j'aurais répondu si je ne m'acharnais pas à mentir en permanence pour tout, à la place de ça j'ai dit tout le contraire et j'en ai tellement honte que je pourrais me pendre avec mes lacets.

ALICEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant