13 : Emotions

603 85 86
                                    

J'effectue mon triple Axel. Trois rotations et demie, avant d'effectuer une réception parfaite. Suite de pas. Je glisse sur la glace avec cette impression d'à peine la toucher. Peut-être que je vole, qui sait ? Bras tendus, grâce irréprochable. Puis un Cantilever effectué sur une large boucle. Je me redresse, tends un bras devant moi avant de le rapprocher de ma poitrine, comme si un fil invisible me tirait. Je reprends de la vitesse, avant d'effectuer un saut papillon pour introduire ma pirouette. Celle-ci commence allongée, je tourne avec frénésie, le blanc de la glace se mélange avec celui des demi-murs, du plafond, et des néons. Je suis dans un autre univers. Je transforme le deuxième temps de la pirouette en pirouette royale, attrapant mon pied droit avec la main gauche. Je continue de tourner, prêtant une attention particulière, mais presque automatique, à ce que ma lame effectue de parfaites rotations serrées sur la glace. Je me redresse, la fatigue commence toutefois à m'engourdir les muscles, mais comme d'habitude, je ne laisse rien paraître. C'est fini. Je me campe avec énergie sur mes jambes, levant un bras vers le haut, observant comme un ciel imaginaire, même si à cet instant, à part les néons éblouissants de la patinoire, il n'y a rien.

La musique de mes écouteurs sans fil se tait soudainement, je suis ramené avec tristesse dans la réalité, loin de mon univers sur la glace qui n'appartient qu'à moi, où l'espace de quelques minutes, rien ne peut m'arrêter. On a l'impression d'être un dieu, sans limite, de maîtriser les éléments. Quand la musique se tait, que nos lames s'arrêtent, on est soudainement réduits à notre condition d'humain. 

Au loin, je vois Katrina qui tient mon portable avec lequel elle a arrêté la musique, et qui m'adresse de vigoureux applaudissements avec ses mains frêles. J'enlève mes écouteurs, vais vers elle alors qu'elle me tend une gourde d'eau.

— Wow, Morten, c'était exceptionnel ! J'ai filmé, tu voudras voir ?

— Hmm. Je regarderai après.

— D'accord. J'ai gardé la séquence du triple Axel, je l'ai posté pour tes réseaux sociaux. Elle ne révélera pas ton programme court à tes concurrents comme l'Axel est obligatoire, mais tu pourras accessoirement les faire flipper au vu de la perfection de ton triple. Je te laisserai gérer les commentaires de groupies, comme d'habitude. Et la trentaine de demandes en mariage que tu recevras à ce moment-là.

— Tu exagères, maugrée-je.

— Tu en avais eu combien lors du dernier post où tu avais posté une photo torse nu après ton entrainement à la salle de sport ?

— Tais-toi, Kat', ça n'a rien à voir ! De toute façon, j'ai plus important en ce moment à penser qu'une demande en mariage. Genre : mon programme court. Tu en as pensé quoi ?

— Honnêtement, il est quasiment irréprochable. On dirait que tu as enfin trouvé une émotion dans ton patinage. Ça manquait dernièrement. Vraiment, tu justifies ton rang de deuxième au classement international ISU. C'est simple, tu refais ce programme court aux jeux, tu sécurises de précieux points.

Je poche la tête en buvant goulument, tentant également de reprendre mon souffle après l'effort intense.

— Sérieusement, que s'est-il passé pour que tu retrouves toute cette émotion qui était ta marque de fabrique ? Ça doit faire une bonne année ou deux que tu ne m'as rien fait d'aussi émouvant.

Je hausse les épaules, signifiant que je ne sais pas, alors qu'en réalité, je pourrais savoir, mais ça m'effraie de l'avouer à moi-même.

— Quand Zihao va revenir, tu pourras lui dire que tu as fait des miracles. D'ailleurs, ça se passe bien avec ses parents ?

— Ouais. On s'envoie quelques messages, mais il est pas mal occupé.

Finalement, ça m'arrange aussi. Il me manque terriblement. L'appartement est vide sans lui. Je m'ennuie. Jouer aux jeux vidéo ne m'intéresse pas, ma pile de nouveaux mangas n'a pas été entamée, et aller faire un tour de running relève désormais de la corvée. Je ne sais plus vivre sans lui. Mais finalement, j'ai aussi peur de lui dire tout ça. De revenir sur ce qui s'est passé le jour de son départ. Alors échanger simplement quelques messages, c'est un bien comme un mal.

RevalerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant