38 : Ultime mise en scène

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— Pour Morten ! s'exclame Hans en soulevant sa coupe de champagne.

— Ne crie pas victoire trop vite, bougonné-je.

— On s'en fout ! Tu as été le premier patineur à faire un quadruple Axel en compétition, tu marqueras davantage l'histoire que si tu gagnes une médaille d'or, crois-moi !

Peut-être, mais la médaille est plus importante pour moi. Surtout que je n'ai réussi que les rotations. L'atterrissage était raté. Je ne m'appelle pas Zihao Qián. Mon cœur se pince.

— ­­Et tous les articles de presse parlent de ta victoire quasi-assurée, reprend Hans.

— Morten a raison, ne vendons pas la peau de l'ours avant de l'avoir tué. C'est mettre une pression inutile supplémentaire, le contredit Jones.

Je remercie silencieusement Jones par un regard qu'il comprend. Je vois que ça en amuse plus d'un de voir ma nouvelle complicité avec ce coach que j'ai longtemps méprisé. A commencer par Aske.

— Je vais aller dormir, déclaré-je.

— Tu veux rester un peu quand même ? demande Katrina.

— Non, une dure journée m'attend.

J'adresse un mince sourire à tout le monde, avant de quitter la pièce commune où règne quand même une agréable bonne humeur danoise.

C'est déchirant de trouver ma chambre vide. Je sais qu'elle l'aurait été de toute façon. Zihao aurait été dans une autre parce qu'on n'a jamais rien dit sur nous. Mais je sais que l'on aurait passé toutes nos soirées dans la chambre de l'autre. Peut-être même la nuit, ensuite, à l'abri des regards. Mon appartement me manque à ce moment-là. J'enlève mes vêtements de rechange que j'avais pris après ma douche en revenant de la patinoire, pour enfiler un survêt et un sweat appartenant à Zihao qu'il prenait pour dormir. J'ai gardé sa valise, c'est la seule partie de lui que j'ai si près de moi. J'enfonce le nez dans le col du vêtement. Ça sent légèrement son odeur. Mes yeux me piquent à nouveau.

Et je me fais surprendre par quelqu'un qui toque à la porte. Je frotte rapidement mes paupières avant d'autoriser d'entrer. Contre toute attente, c'est l'immense silhouette d'Aske qui traverse le cadre de cette dernière. Malgré ses manières de viking, il ferme délicatement la porte et vient en silence s'assoir sur mon lit, tout délicatement.

— T'as pleuré.

— Non.

— C'était pas une question. Tes yeux brillent.

Je soupire. Ça ne sert à rien de mentir face à l'évidence, de toute façon.

— Je sais que tu te retiens face aux autres.

— Je ne vais pas pleurer face à eux toute la journée. Je vais les saouler.

— Et alors ? Tu as bien le droit de pleurer parce que tu as perdu quelqu'un que tu aimes.

— Oui, mais...

— Mais ? Tu peux me le dire, à moi. Je te comprends.

Je lève les yeux vers Aske. Je vois d'abord un sourire compatissant qui se dessine sur son visage de géant. Je ne le vois pas longtemps, car rapidement ma vision se trouble. Mais je viens me terrer contre son torse, alors que ses deux énormes bras puissants viennent m'entourer. Contre ce colosse, j'éclate en sanglots, comme si maintenant, je pouvais laisser exposer toutes mes vulnérabilités, parce que sa force est mon rempart. Sa main vient se caler dans ma nuque comme on le ferait à un enfant fragile.

Aske a raison. Je ne pleurais pas devant les autres, je n'avais pas d'épaule sur laquelle compter parce que je ne leur avais jamais dit pour Zihao et moi. Comme si je ne m'autorisais pas à être triste à cause de ça. Mais avec lui, je sais qu'il sait, qu'il ne me jugera jamais, et je pleure toutes les larmes que je n'ai pas pu pleurer jusqu'à présent avec quelqu'un.

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