30 : Chercher la paix

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Zihao m'a raccompagné chez moi, sans un mot. Évidemment, on marche avec nos deux larges capuches sur la tête. Je ne suis pas sûr que cela fasse vraiment discret, mais toujours est-il que l'on n'a pas été importunés en sortant par notre passage secret du Centre, ni même par un journaliste qui se serait échappé de la salle d'interview et nous attendrait planqué dans la rue.

Quand j'arrive chez moi, je m'avachis dans le canapé et attrape un coussin que je viens serrer contre moi.

— Tu veux boire quelque chose ? propose Zihao.

Je refuse de la tête, et ce dernier vient s'assoir à côté de moi. Il est pensif, visiblement presque autant secoué que moi.

— Tu sais, Morten, si tu as besoin d'en parler, je suis là.

— Je n'en ai jamais parlé.

— Oui, mais si aujourd'hui tu as besoin de confier à quelqu'un tout ce que tu as sur le cœur depuis ce qu'elle t'a fait, tu peux me faire confiance.

— Je sais.

Je croise ses yeux, qui malgré la situation, sont réconfortants, comme un petit havre de paix. C'est lui, mon havre de paix. J'oubliais plus facilement mes angoisses, mon agression, parce que le positif de ma vie présente l'emportait sur le négatif que je trimballais du passé. Je tends ma main vers une des siennes, recherchant son contact, pour me donner de la force.

— ­J'avais vingt et un ans... Elle, vingt-huit. J'étais son patineur, et elle ma coach. J'étais perturbé par mes blessures, ma reprise du patinage en individuel et l'abandon de ma carrière de couple. Et elle, elle savait tout ça.

Au fond, je me sens stupide, aussi. Quand on avait quinze ans, avec Freya, on avait eu à un moment un entraîneur pervers, Tim. Sa lubie, c'était débarquer dans les vestiaires des patineuses, et pour certaines, il était allé plus loin. Tim était charismatique et savait se protéger. A cette époque, j'avais quinze ans, je n'étais pas très mature mais je n'étais pas complètement con pour autant. J'avais vite compris, au travers la façon dont il regardait Freya, dont il plaçait ses mains en entrainement, qu'il était dangereux. Et j'avais peur pour ma partenaire. La seule façon que j'avais trouvé pour qu'il la laisse tranquille, car Tim n'aimait pas les témoins, forcément, c'était de me planter devant la porte des vestiaires pour filles après chaque entraînement, attendant assis jusqu'à ce que Freya en ressorte. Ma mère m'a mis une roussée plus d'une fois, parce que je ne me lavais pas ni me changeait après l'entrainement, mettant ça sur le dos d'une nouvelle crise d'ado réfractaire à l'hygiène. Heureusement pour cette dernière, pour moi aussi car ne pas se laver après l'entraînement était peu plaisant, ainsi que pour Freya qui par la suite était plus en sécurité, nous n'avions pas à subir Tim plus longtemps, ce dernier aillant fait part d'un scandale et un entraîneur plus compétent nous ayant été trouvé.

Tout ça pour une conclusion : j'ai toujours pensé que les histoires de coach pervers, de harcèlement et d'agressions sexuelles dans le patinage (assez fréquentes, c'est la tâche sombre que la fédération tente de faire oublier), c'était dans ce schéma. Un coach un peu plus vieux, excité par la présence de jeunes filles qui oseraient difficilement lui tenir tête.

Sauf que, de un, c'est faux ; de deux, c'est dangereux, car ça laisse imaginer que dans d'autres hypothèses, tout est sain.

Probablement ce qui a été mon erreur : pour moi, je ne pouvais pas être concerné. Je n'étais pas une fille, pas une adolescente, mon coach n'était pas un homme un peu pervers.

Mais voilà, on peut être un garçon, un jeune homme, avoir une coach féminine sans trop de scrupules, et le constat peut être tout autant effroyable : on a abusé de vous. Alors peut-être qu'il aura fallu de la drogue pour qu'elle arrive à obtenir ce qu'elle voulait de moi, qu'elle y serait parvenue difficilement autrement, il reste toujours une chose : j'ai été sali.

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