Le fait d'être sous l'eau me donne une poussée d'adrénaline. Il y a toujours une partie de moi qui refuse d'abandonner. J'ouvre les yeux, dirige mon regard vers la surface. Mon embarcation dérive. Elle s'éloigne d'une bouée reliée à une grosse chaîne qui sombre vers les profondeurs de l'océan...
Une bouée ! Je suis en zone sécurisée. Je n'arrive pas à y croire. Je suis parvenu jusque-là.
Cependant mon soulagement s'évapore lorsque j'aperçois une ombre massive se diriger droit sur moi. Malgré la noirceur, malgré l'océan, je la vois. Je me mets à nager vers mon bateau : ma seule protection. Chose dérisoire dans ce lieu hostile. À tout moment je m'attends à me faire dévorer par derrière. J'anticipe la douleur. Mon cœur s'affole alors que j'ai l'impression d'évoluer dans de la mélasse.
A l'instant où je rattrape enfin la barque je perçois un mouvement passer juste en-dessous de moi. Je ne suis plus que peur. Je me hisse à bord. Pantelant je me roule en boule au fond de la coque. Priant pour que tout se finisse rapidement.
Le temps se traîne. Je n'arrive pas à reprendre mon souffle. J'ai l'impression que mon cœur va exploser. J'en ai marre d'essayer de fuir alors qu'il n'y a pas d'espoir. Il faut que tout cesse. Je grogne et me redresse. À genoux, je penche le haut de mon buste par-dessus bord, prêt à affronter le Léviathan.
Comme dans une vision surréaliste, j'observe le monstre monter des profondeurs. Vague ombre qui grandi. Ses formes se dessinent. Je devine son museau, sa gueule qui s'ouvre bordée de centaines de dents. Ses multiples nageoires qui poussent pour lui donner une dernière impulsion. Et sa faim, son envie de sang frais...
Mais soudainement la créature se cabre. Se tord comme de douleur. Je sursaute. Stupéfait je me penche plus en avant. Mon visage frôle la surface de l'océan. J'observe le Léviathan se retourner, faire un demi-cercle avant de disparaître dans les profondeurs.
Je m'écarte de l'eau. Tendu, j'attends qu'il réapparaisse, qu'il perce la surface de l'océan. M'éclabousse et finisse enfin par me dévorer.
Toutefois il ne se passe rien. Rien du tout.
Je suis épuisé. Vide de tout. Mon corps entier proteste contre chacun de mes mouvements. Pourtant je le sais, je ne peux rester là. L'océan reste un lieu dangereux – avec ou sans Léviathan – et il est hors de question de dériver à nouveau jusqu'en terrain ennemis.
La créature marine a disparu. Confirment le rôle des bouées. Cela ne sert à rien d'attendre là sans rien faire. Je dois regagner la côte. Regagner la sécurité. M'éloigner avant que cette monstruosité marine ne trouve un moyen de franchir cette mince ligne de bouées... Je l'imagine tapis dans les profondeurs, se glissant en dessous du doris et refermer sa mâchoire sur moi. Je frissonne. Il faut que je bouge.
Je me traîne jusqu'au banc de nage puis attrape les rames et avec des gestes lents je me mets en mouvement. Je me dirige vers la côte qui est enfin visible. La dernière partie de mon trajet dure une éternité. Chaque coup de rame puise dans mes dernières forces et je supplie que cela cesse. Je suis à bout.
J'atteins le sable alors qu'une pâle aurore prend possession du ciel. Crevé je ne festoie même pas cette arrivée. Je me tire hors de la barque. Je tombe de tout mon long contre le sable humide et ne fait rien pour amortir ma chute. Mes mains se referment dans un spasme, s'agrippent à la terre ferme. Je suis pris d'une quinte de toux qui m'arrache les poumons et me plie en quatre. Et alors que je pleure de douleur, les vannes de mes yeux s'ouvrent et j'éclate en sanglots. Mes émotions explosent et le souvenir de ma petite sœur revient me hanter.
Je suis vivant. Je n'arrive pas à y croire. Croire que je suis en sécurité. Je ne ressens aucune joie car Aislynn elle – même si c'est depuis bien longtemps – n'est plus là. Je suis perdu. Je n'ai plus d'énergie. Plus de volonté de survivre. Alors je me laisse sombrer.
Et l'obscurité m'attend comme une mère veillant sur son enfant.
Le soleil tape fort. Je sens l'écume des vagues me lécher la plante des pieds. Un goéland crie dans le lointain. Je me redresse. Mon corps craque comme une vieille planche de bois.
Je demande ce que je fais ici, échoué sur le sable. Un bernard-l'ermite s'enfuit. Mes vêtements me collent et sentent l'eau salée et la sueur. Avec précaution je tourne la tête. J'aperçois mon doris à moitié sur le sable, à moitié dans l'eau. Je vois la coque fendue sur le côté. Ecorchée comme si elle avait heurté un récif. Brusquement ma nuit me revient en mémoire. Le Léviathan, notre course-poursuite. Malgré moi, à ses souvenirs mon cœur s'emballe.
Mes quelques heures de répit n'ont rien changé à mon état. Je suis épuisé. Lessivé, desséché. Pire encore, les courbatures règnent dans tous mon corps, elles brûlent mes membres à chaque mouvement. Avec un geste lent je passe une main sur mon visage pour enlever le sable. Je regarde autour de moi pour voir où je suis.
Échoué sur une plage aux grains grossiers, parsemés de petits cailloux et débris que l'océan recrache. J'observe une drôle de forêt. Elle est en partie voire complètement déboisée. Les feuilles virent sur le jaunâtre. Les troncs n'ont plus d'écorce. On dirait que ces arbres sont malades.
Mon regard se porte de l'autre côté. Il y a un port à quelques kilomètres sur ma droite. Mon cœur fait un saut dans ma poitrine. Serais-je si proche de chez-moi ? Non, je remarque tout de suite que ce n'est pas le cas : ce port est trop petit. J'ai envie de vomir.
Sans doute un autre village côtier. C'est là-bas où je dois me rendre. Prévenir que je suis toujours vivant. Ensuite j'espère pouvoir m'orienter. Je dois y aller même si grâce au soleil, à l'océan et aux quelques cours de géographie je devine que je devrais probablement plutôt partir sur ma gauche.
Un détour. Il faut que je fasse un détour pour rentrer. Cela me décourage. Je ne bouge pas. Je n'en ai aucune envie. Mon corps est sec et réclame de l'eau à grands cris. Ma tête est lourde. Mes yeux me brûlent et rien qu'à l'idée de devoir marcher je suis incapable de me lever. Je sais que retarder mon départ n'arrange pas mon cas mais ma volonté n'arrive pas à me faire mouvoir.
Je pousse un grognement et me retourne sur le dos. Pour une fois je n'ai plus envie de me battre. Alors je reste sans bouger. Je me demande si je vais mourir. Je l'ignore et de toute manière je m'en fiche. Je suis prédestiné à mourir de toute manière.
Cela sera peut-être plus doux d'expirer sur cette plage plutôt que dans les Hunger Games.
Une voix s'élève dans mon esprit. Elle a l'intonation de Kaeso Acomptus et baratine le savoir qui me bourre le crâne :
"Un continent ravagé par les catastrophes naturelles. Panem, seul pays qui se relève de ses cendres – le Capitole et 13 districts – puis la plongée dans le chaos des jours sombres à cause de la révolte des districts. Ceux-ci ont perdu la guerre il y a 65 ans. Le 13 qui s'occupait des mines de graffite a été rasé comme punition. Et, pour rappeler la révolte, les Hunger Games sont nés.
Ce sont de grandes compétitions inhumaines entre tous les districts, conduites par le Capitole. Les règles sont connues de tous : 24 enfants lâchés dans une arène "naturelle", doivent s'entre-tuer. Le dernier survivant est couronné vainqueur. C'est l'un des plus grands prestiges de notre temps. Et puis, comme c'est du spectacle pour étaler la rivalité entre les districts, on peut compter sur les juges pour pimenter chaque édition avec leurs coups tordus..."
Je bloque mon flux de pensées et soupire un bon coup. Même au plus mal, ce discours est imprimé à l'encre rouge dans mon esprit. Et dire que je suis prédestiné à me porter volontaire pour les Jeux. Je ne sais plus où j'en suis. Rentrer ne résoudra pas mon problème. Le temps court et tout me rapproche de l'arène.
En revanche rester ici est une sorte d'échappatoire. Pas que je veuille mourir, non. La vie possède une certaine beauté – le soleil au-dessus de l'océan, un sourire de Nadir, les légendes d'Amar, l'odeur du poisson frit – elle mérite d'être contemplée. Toutefois à choisir entre mon sort et cette plage, il vaut mieux mourir ici.
Je sombre à nouveau dans le néant.
VOUS LISEZ
Hunger Games Le tribut de l'océan
FanfictionFinnick Odair passe sa vie à s'entrainer pour les Hunger Games. Jeux meurtriers où l'on peut gagner la gloire et la richesse. Pourtant ce n'est qu'encore un enfant. Il doit aussi apprendre comment marche le monde et ce qui en dehors de son père, inf...