Chapitre 30

62 3 0
                                    

Je ne bouge pas et pourtant mon corps s'enfonce dans le sol. Le poids du ciel se pose sur mes épaules. Sous mes yeux la porte s'ouvre une seconde fois mais avec douceur.

Une tête noiraude apparaît. Je ne peux retenir une larme à la vue de mon meilleur ami. Elle seule parvient à couler et je la sens glisser jusqu'à mon menton. Je suis incapable de parler, brisé par les dernières paroles de mon père.

Nadir ferme la porte. Lance sa canne contre l'un des beaux fauteuils en ébène noir et cuir bordeaux. Il s'avance en sautillant jusqu'à m'attraper avec poigne dans une étreinte fraternelle.

Mon ami me serre jusqu'à me faire mal et je ne le lâche pas. Tout le reste de l'univers disparaît. Je m'accroche à ce dernier instant. Mon corps se met à trembler. Le temps file et pour moi il est plus que précieux. J'essaye de parler mais dois me reprendre plus de trois fois avant de parvenir à murmurer :

– Je vais mourir.

Ces trois mots m'arrachent la gorge. Me font suffoquer. De les prononcer à voix haute leur donne une puissance physique comme si la mort se tient avec nous dans la pièce, veillant mes derniers instants.

Dans ma petite tête il n'y a pas d'autre évidence à ce moment-là. Tout rêve d'avenir, toute ébauche pour essayer de conquérir ce monde vient de tomber en ruine. Je vais mourir dans les jours à venir. Et ma mort sera un spectacle rediffusé dans tout le pays. Je vais mourir et tout le monde le verra sans rien faire.

– Ne dis pas ça... dit-il en essayant de maîtriser sa voix.

On s'écarte légèrement en gardant nos bras verrouillés l'un à l'autre.

– Je vais mourir, Nadir.

Il secoue la tête. Il ferme les yeux. Moi, je l'agrippe plus fortement. Le secoue presque. C'est essentiel qu'il le comprenne. Qu'il ne conserve pas l'espoir de me revoir. Ça serait trop douloureux.

– Tu peux gagner.

C'est à mon tour de secouer la tête. Une autre larme parcourt mon visage. Comment pourrais-je m'imaginer remporter les Jeux. Je dévisage Nadir. Je ne parviens plus à parler, à nouveau. Je dois lui dire mes adieux... et le réconforter.

– J'ai quelque chose pour toi, dit-il

Mon ami renifle. Il me lâche. Je lui libère une main mais garde mon autre ancrée sur son épaule. J'observe Nadir tandis qu'il fouille ses poches.

Son visage est bouleversé par un trop plein d'émotions, mais par-dessus tout je perçois sa douleur. Toute trace d'innocence a quitté son regard. Son enfance a été raccourcie par la difficulté, la famine et la violence. C'est un être solitaire qui n'a jamais pu courir avec les autres enfants. Et qui ne pourra jamais naviguer seul sur l'océan pour gagner sa croûte.

Il est frêle et pourtant toujours debout. Je l'admire. Malgré sa vie il continue d'avancer. J'aimerais lui ressembler. Avoir sa combativité.

Nadir trouve enfin ce qu'il recherche et me tend un pendentif. C'est un coquillage. Une coque rouge pour être précis. Les rainures de la coque sont traversées par des lignes orangées tirant sur un rose saumon. À son sommet un trou a été percé et un hameçon retravaillé forme une boucle.

C'est un objet simple. L'un des premiers que les bambins du district apprennent à concevoir. Toutefois je comprends tout de suite que c'est mon ami qui la conçu. Voilà ce qui fait toute sa valeur.

– Je n'ai pas eu le temps de faire un bracelet, se désole Nadir.

Je relève la tête. Le vois renifler. Des larmes coulent sur son visage. Je referme ma main sur le pendentif et le serre.

Hunger Games Le tribut de l'océanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant