Chapitre 17

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Mon petit doigt est violet. Je n'ai plus de sensation à son extrémité. L'entraînement de cette nuit n'a pas été de tout repos. J'ai réussi à tenir tête à mon père qui cette fois avait pris un javelot. Ainsi j'ai pu tester mes capacités à tenir tête à la Carrière. Quoiqu'à vrai dire je suppose fortement qu'elle est meilleure avec cette arme que Monsieur Odair.

Cette fois j'ai réussi à blesser mon géniteur et lui m'a juste cassé un doigt en me désarmant. J'espère ne pas le perdre.

Je me lève alors que le soleil est déjà haut. Il ne faut pas que je sois en retard. Je m'élance dehors.

Je suis fatigué. Je m'arrête une seconde pour sentir l'air salé si familier à mes sens. Pendant un bref instant je fantasme que je me transforme en oiseau et que je me laisse porter par le vent. Toutefois la gravité joue bien son rôle. Je suis solidement ancré au sol. Je me secoue l'esprit, essaye de me projeter sur ce que je dois faire mais je n'aperçois rien mis à part une suite sans fin de journées d'entraînement. Ce qui est le sommet de la déprime.

Je m'élance et cours. Je puise de l'énergie dans mon envie de me dépêcher. Mon corps proteste. Je ne l'écoute pas, par habitude. Je trouve très vite un bon rythme de croisière. Je me dirige vers la mairie.

Nous sommes le 1er juillet et comme chaque premier du mois c'est le jour de la distribution des tesseras.

J'observe la marée d'enfants rassemblés sur la place devant le bâtiment. J'ai froid dans le dos : ce spectacle me rappelle trop la Moisson qui se déroulera dans quelques jours.

Ce ne sont que des jeunes : de 12 ans pour les plus petits jusqu'à 18 pour les plus âgés. Leurs vêtements sont en haillons rapiécés de toute part, déchirés aux extrémités mais étrangement propres. Ce qui veut juste signifier que ce sont leurs plus belles parures. Leurs visages sont amaigris : deux trous pour les yeux que même les reflets vert-bleu typiques d'ici n'arrivent pas à éclairer, des os saillants et des bouches desséchées.

Le système d'irrigation de la Houle n'a jamais été conçu pour une si grande population. Il servait de base à alimenter le port et non pas toute une extension de ville flottante et parasite. La déshydratation si on n'y prend pas garde peut tuer plus vite que la famine. L'eau potable est gratuite mais il faut aller la chercher. Pas tout le monde n'a le temps, ni l'énergie de le faire.

Certains jeunes s'en sortent mieux ou cachent mieux les dégâts de la faim. Ceux-ci sont à l'écart des plus faibles qui se regroupent comme pour se protéger.

Par groupe de 5 les enfants rentrent dans la mairie. Ils doivent passer par la grande porte flanquée de 6 Pacificateurs. Impassibles dans leurs tenues blanches comme neige, ils ont le regard plongé dans le lointain et l'arme au poing. On dirait des statues.

Lorsque j'arrive sur la place, la moitié des regards se tournent dans ma direction. Je m'arrête le temps de reprendre mon souffle.

Je repère Nadir à quelques mètres de l'hôtel de ville. Il est déjà casé dans un groupe de cinq. Je fends la foule pour le rejoindre. Plusieurs têtes se tournent à mon passage. Je sens les regards coller à mon corps, à ma personne. J'affiche une attitude d'indifférence même si au fond de moi j'aimerais disparaître.

Je sais qu'ils tolèrent seulement ma présence. Que je n'ai pas ma place ici. J'ignore comment ils réagiraient si je venais seul ici. Ma relation avec Nadir est peut-être la seule chose qui les empêche de m'agresser. Je dois avouer que d'une certaine façon ils me font peur. En effet je sais qu'ils ne m'aiment pas – moi qui mange à ma faim, moi qui m'entraîne pour les Jeux – et la haine est une force puissante.

Lorsque l'on est perdu, que la vie n'est plus que souffrance et peur, se défouler même si c'est inutile fait du bien. Ces jeunes, malgré six Pacificateurs, pourraient mettre une raclée à n'importe quel Carrière. Et, connaissant le Capitole, je doute qu'ils interviendraient assez vite avant que le combat ne tourne au bain de sang.

Hunger Games Le tribut de l'océanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant