Chapitre 23

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Je mange un troisième poisson pour tuer le temps. Mags Flanagan ne parle pas. Je n'ai aucune idée de ce que je dois faire. La situation me met mal à l'aise. Je gigote sur place, mon nez me pique à cause de la poussière.

Je voudrais qu'elle parle. Qu'elle raconte quelque chose, n'importe quoi.

N'y tenant, plus je reprends la parole d'une voix incertaine :

– Alors, pourquoi mon père m'a-t-il demandé de venir vous voir ?

– Tu ne le sais pas ? demande-t-elle.

Ses yeux se fixent sur moi et je lui signale que non. On dirait qu'un ouragan miniature réside dans chacune de ses pupilles. Quand elle doit être en colère son regard doit vraiment jeter des éclairs.

Je souris intérieurement. Mais cette bulle de joie explose dès que je réfléchis à sa question. J'ignore la réponse

– Je comptais sur vous pour m'éclairer, déclaré-je prudemment.

D'un coup sec la vainqueure se lève avec une vigueur surprenante. Je m'enfonce dans mon fauteuil pour m'écarter. Mags, sans se presser, disparaît dans la cuisine.

J'ai envie de m'enfuir. Disparaître avant que mon hôtesse ne le remarque. Cependant je me force au calme. Je suis convaincu que mon père m'a envoyé là pour une bonne raison.

La vieille femme revient avec un grand pichet de limonade et deux verres. Elle m'en sert un et me le tend. Je le prends et par politesse bois une gorgée. Le goût sucré et citronné explose dans ma bouche. Je fonds de bonheur devant une telle boisson. Rien que pour ça je suis content d'être resté deux minutes de plus.

– Alors jeune homme qui es-tu ?

– Heu...

Je laisse échapper cette onomatopée. Je me rends compte que je ne sais pas quoi lui répondre. Je lui ai déjà décliné mon identité.

– Qu'est-ce qui fait que tu sois Finnick Odair, ajoute-t-elle devant mon silence. Parle-moi de toi.

Mags me pointe du doigt. Je déglutis et me demande où cela peut-il bien nous mener. Toutefois la limonade a fini de me convaincre de rester. J'ai presque envie que Mags ramène une autre merveille de sa cuisine. Je me fais violence pour chasser ce raisonnement et me concentre sur sa question.

J'ouvre la bouche et laisse couler des phrases sans réfléchir :

– J'aime l'océan. J'ai un doris et je suis sûr que je pourrais aller jusqu'au bout du monde avec. Enfin peut-être pas...

Je visionne mon bateau endommagé par les crêtes du Léviathan. Ce dernier nage toujours entre mes pensées. Je secoue la tête et continue. Je lui parle de la pêche, des cours ennuyeux. De la médecine qui m'intrigue. De mon entraînement. Cependant je ne parle pas du trident.

Je me rappelle la première fois que Monsieur Odair m'a emmené au gymnase. Je devais avoir à peine quatre ans. Ce souvenir est flou. Je savais à peine parler. Je regardais tout avec des grands yeux ébahis.

On est allé dans l'arsenal. Tant d'armes à l'aspect si terrifiant. J'ai fondu en larme. Mon père a attendu que je me calme avant de me demander d'en choisir une.

Je suis allé vers le trident car il ressemblait à une grosse fourchette. Et aussi ma mère me contait des histoires où les héros avaient ce genre d'arme. Cette nuit-là il s'est formé une sorte de pacte. Depuis, c'est devenu mon arme de prédilection. Je m'entraînais toujours en cachette, de nuit et avec mon géniteur.

– Et que veux-tu ? Me questionne la gagnante.

Surpris je la regarde longuement.

– Gagner les Hunger Games, dis-je instinctivement.

À peine ces mots sont-ils sortis de ma bouche que je me rends compte à tel point ils sont vides de sens. Je suis élevé pour les gagner. J'ai envie de faire la fierté de mon père. De recevoir son approbation. Pourtant je n'ai aucune envie d'aller au Capitole. De finir en petits morceaux entre quatre planches ou de devenir comme Frye ou comme mon hôtesse.

Je réalise que c'est ça d'être vainqueur. Devenir seul, renfermée comme Mags ou continuer à faire la seule chose qu'on sait faire comme Frye. Cela fait peur. Ces deux personnes ne sont pas prisées du district mais sont adorées au Capitole. Je me demande comment ils étaient enfants. Et comment je deviendrai si je survis aux Jeux.

Une peur vient se loger dans mon cœur. Peur de finir comme eux. Elle se rajoute à ma répulsion de tuer. Je ne veux pas devenir un meurtrier même pour la gloire que l'on me promet.

– C'est ce que ton père veut pour toi Finnick, déclare-t-elle confirmant ma première pensée.

Je me redresse. Je fouille mes souvenirs, cherche ce qui me plaît. Ce que je voudrais faire.

– Je veux devenir marin, connaître les rouages du district pour pouvoir aider. Partager ma richesse, l'investir pour vaincre la famine.

J'arrête de parler mais mes pensées vont plus loin. Je voudrais diminuer les quotas, renverser les Pacificateurs et rompre le couvre-feu. Je voudrais rendre le monde parfait : faire arrêter les Hunger Games. Renverser le Capitole pourrait servir tous ces buts.

Un feu nouveau coule dans mes veines. Je suis pris d'envie de destruction.

– Je peux t'apprendre certains usages de la pêche, te montrer les plantes, leurs noms et leurs effets. Mais Finnick, je t'apprendrai cela qu'à toi. Pas à toi et ton père.

Sa voix douce me ramène sur terre. Je suis un enfant. Nadir à raison. Quel poids puis-je avoir dans ce monde ? Ma vie ne commencera qu'après mes 18 ans. Là je pourrai peut-être faire quelque chose qui va dans le sens d'un monde meilleur. En attendant tout ce que j'ai à faire c'est de rêver de ne jamais devoir aller au Capitole.

Espoir bien illusoire. Non, tout ce que je peux faire c'est maximiser mes chances de rester en vie. Ainsi j'atteindrai mes 18 ans. Pour cela je dois m'entraîner.

J'accepte sa proposition en lui assurant que je suis bien moi-même. J'ai conscience que je mens car j'ignore où est la limite entre ce que mon père a bâti en moi et ce que je suis. Peu importe, pour l'instant je décide d'être un vainqueur.

Mags Flanagan me raccompagne jusqu'à la porte. Elle déverrouille les verrous en m'informant qu'elle m'attend lundi suivant après mes cours. Encore une chose de plus qui se rajoute à mon horaire. Avec tout ça bientôt je passerai bientôt plus de temps à travailler ma tête que mon corps.

La vieille femme me baise le front et marmonne d'antiques paroles. Une ancienne bénédiction pour les marins qui partent en mer. Je la remercie. Elle hoche la tête.

Je quitte le palier. Je m'enfonce dans la nuit tombante.

Hunger Games Le tribut de l'océanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant