Chapitre 22

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-V

as voir Mags Flanagan et dis-lui ton nom.

Je dévisage mon père, attendant d'autres instructions. Cependant mon géniteur a déjà détourné son attention de moi et ses yeux parcourent des dossiers. Bon, voilà qui est étrange. Pas d'entraînement ce soir. À la place je dois trouver quelqu'un. C'est un peu vague comme demande.

Pour finir, je me résigne. À quoi cela servirait-il de demander d'autres explications ? Je saurai de quoi il en retourne bien assez vite, comme toujours avec cet homme. Je tourne les talons et sors de la maison, rempli d'une drôle d'excitation.

Bien sûr je connais le nom de Mags Flanagan. Elle est la plus vieille gagnante du district. Quoiqu'en y réfléchissant, elle est peut-être la plus ancienne vainqueure encore en vie de tout Panem ! Une personnalité publique que l'on voit annuellement à la télévision mais presque jamais dans la vraie vie.

Si mon père me demande d'aller la rencontrer, c'est qu'il doit y avoir une bonne raison. Elle a probablement des choses à m'apprendre. J'espère juste qu'elle n'est pas comme Frye Brasher...

Peu importe, on verra bien. Je m'active. Marche d'un bon pas. Je devine où je vais la trouver : au village des vainqueurs.

Reculées, à l'extérieur de la ville, se dressent dans le paysage une douzaine de maisons. Construites après la création des Hunger Games. L'une de ces résidences est offerte à chaque vainqueur. Elles sont toutes semblables, grandes et impressionnantes. Je ne suis jamais allé là-bas.

J'entre dans la rue et observe ce nouveau lieu. Les jardins sont entretenus à la perfection. C'est la première fois que je vois de la nature si bien ordonnée. Je ne trouve pas cela beau. Trop de contrôle ça enlève son charme. Je préfère la prairie sèche et dure qui recouvre les environs.

Je me rends compte que j'ignore laquelle de ces demeures est celle de Mags Flanagan. Je me résous donc à aller sonner à la première maison. Je prie pour ne pas tomber sur Frye, quoique vu l'heure il est sûrement encore au gymnase.

Je prends une bonne inspiration et frappe trois grands coups. Ils résonnent dans le silence. Rien ne se passe. J'attends. Il n'y a personne. Soudain du bruit éclate à l'intérieur. Surpris, je reste sur place alors que quelqu'un semble approcher.

Trois verrous sont tournés avant que la porte ne s'entre-ouvre. Dans l'embrasure se trouve une vieille dame qui doit avoir entre septante et huitante ans. Elle possède des cheveux légèrement bouclés, blancs et des yeux gris sombre. Sa peau est bronzée et desséchée par le soleil.

– Je cherche Mags Flanagan, annoncé-je clairement.

La femme me dévisage. Par politesse je détourne les yeux. Toutefois je sens son regard peser sur moi. Longuement, jusqu'au point où je me sente mal à l'aise. Une fois cette limite franchie, elle ouvre grand la porte, s'écarte et me fait signe d'entrer.

D'accord, c'est bizarre mais je ne m'arrête pas pour réfléchir. De plus mon hôtesse ne me fait pas peur et il se peut qu'elle soit celle que je recherche. Si Mags Flanagan est une vieille femme dérangée, je me demande vraiment pourquoi mon père m'a envoyé la voir. Ou alors, il ne faut pas que je me fie aux apparences. Par instinct mon corps se tend contre ma volonté.

J'entre dans la maison. Derrière moi la femme verrouille la porte avec deux verrous et une chaîne. Me voilà barricadé chez une inconnue. Super, pensé-je. Je me force à respirer normalement.

– Êtes-vous Mags Flanagan demandé-je à nouveau.

Ma voix a perdu de l'intensité et dans la semi-pénombre du hall elle prend une étrange intonation.

Je suis sur la défensive prêt à me battre même si c'est la dernière chose que je veux faire avec une personne âgée. Mon entraînement prend le dessus. Je réalise que je ne fais pas confiance à cette étrangère. Pourtant ce n'est qu'une bonne vieille femme...

Pour toute réponse celle-ci marmonne des propos incompréhensibles. Elle s'enfonce dans les entrailles de la demeure. Je fais alors la seule chose qui s'impose, je la suis.

Parvenu dans un corridor, une délicieuse odeur de poisson frit enivre mes sens. J'ai l'eau à la bouche alors que j'ai déjà mangé. Cette odeur grasse me fait rêver. Mes craintes s'envolent et je suis surpris par la faim qui tore mon estomac. C'est de la gourmandise.

Nous parvenons dans un salon miteux. La vieille femme disparaît vers ce qui semble être la cuisine. Je suis stupéfait de sa vitesse. J'analyse les lieux.

Les fenêtres sont recouvertes de rideaux qui donnent à la lumière un ton jaunâtre. La pièce est marquée par l'usure. Les meubles sont éraflés, les fauteuils déchirés. Tout est encombré dans un désordre sans sens : des algues séchées, pierres, coquillages, sable, bois, débris, déchets, lettres, objets de valeur cassés, hameçons de tout genre, filets et ustensiles de pêche.

Il y a trop de choses à voir. Trop de questions qui effleurent mes lèvres. Trop d'intrigues reliées à tant d'objets. Je sursaute quand la femme réapparaît, un plateau à la main.

– Assieds-toi, ordonne-t-elle.

Je dois vraiment tendre l'oreille pour l'entendre mais son accent sonne familier. Cela doit être celui de la Houle mais en plus prononcé. Plus enfoncé dans des racines que je n'ai pas connues.

Je repère un sofa qui n'est pas encombré et m'installe. Je me tiens droit à l'affut de la suite.

Mon hôtesse dépose son plateau sur une table basse. Sur une assiette de porcelaine repose une douzaine de petits poissons frits. L'odeur est plus forte, la panure est belle et je pourrais tuer pour les manger.

Sans dire un mot, la vieille femme sert une assiette et me la tend. Mon cœur loupe un battement en réalisant que j'ai le droit d'y goûter. Je me fais violence et attend qu'elle se serve aussi.

À mains nues, je prends un poisson et attaque. Une explosion de saveurs ravage mon palais. Il est chaud, juteux et croustillant. Du gras dégouline sur mon menton mais je m'enfiche. Je dévore.

Je ne m'habituerai jamais à tant de plaisir. Je pourrais en manger jusqu'à ce que j'explose. Toutefois après avoir englouti mon deuxième poisson je me remémore la raison de ma visite. Pour la troisième fois je demande :

– Mags Flanagan ?

– C'est mon nom.

A deux mains, la gagnante grignote son repas. Ainsi j'ai trouvé celle que je cherchais. Je lui annonce mon nom.

– Je sais qui tu es comme tu sais qui je suis, n'est-ce pas ? réplique-t-elle.

Je hoche la tête. Ainsi voilà le curieux personnage que mon père m'a envoyé voir. Je me penche en avant, attendant la suite. Il va forcément se passer quelque chose. Elle va m'expliquer son rôle dans mon entraînement. Tout va s'éclairer.

Hunger Games Le tribut de l'océanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant