Chapitre 24

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Je me réveille en douceur et suis surpris de constater que l'on est en pleine nuit. Ma bouche est pâteuse, j'ai soif. Je me glisse hors de mon lit. Il n'y a pas un bruit. Des nuages voilent la lune. L'obscurité enveloppe tout. À tâtons je me guide jusqu'au mur. Puis le longe avec expertise. Je sors de ma chambre.

Il y a de la lumière en bas. Mon père ne dort pas, mauvais signe. Je sais ce qui m'attend s'il voit que je ne dors pas non plus. Je passe ma langue sur mes lèvres. L'envie est plus forte. Sur la pointe des pieds je traverse le corridor en direction des toilettes.

J'ouvre le robinet. La cascade d'eau fait un bruit de tonnerre. Je me dépêche de boire. À peine désaltéré, une voix résonne du rez :

– Finnick, c'est toi ?

Je soupire. Je me dirige à grands pas vers l'escalier. Je déclare dans un chuchotement puissant :

– Oui père.

– Descend on va se balader, ordonne-t-il.

C'était prévisible. Monsieur Odair debout à cette heure c'est forcément pour me réveiller. Je me mets en mouvement réfléchissant comme un automate. J'attrape des chaussettes mais ne me change pas. Il fait tellement bon pendant cette saison et de toute manière on sera rentré avant le lever du jour.

Je descends rejoindre mon père qui m'attend sur le pas de la porte. J'enfile mes chaussures. Nous sortons. L'air de la nuit est agréable. Le son des cigales résonne. Je me sens bien. C'est agréable de vivre la nuit, à l'abri du soleil, à l'abri du monde.

Nos pas prennent la direction de l'hôpital. Je me rappelle ma première visite avec Monsieur Odair. J'étais si jeune... Une nuit d'octobre alors que le froid arrivait et s'engouffrait par ma fenêtre ouverte, j'avais été réveillé par un cauchemar. Ma mère qui m'abandonne et périt en plein océan. Vision horrible qui pouvait s'être réalisée. Enfin, j'étais descendu chercher de l'eau et étais tombé sur mon père.

Au lieu de me rassurer, de me border, cet homme m'a habillé et emmené dehors. Il m'a conduit à l'hôpital du district. Il m'a forcé à regarder tous les patients. Les images de cette première visite sont gravées au fer rouge dans mon esprit... Je préfère ne pas y penser alors que je sais que j'y retourne.

Après cette confrontation à l'horreur des blessés, malades et fous, l'odeur de la putréfaction, du désinfectant et du sang m'a poursuivi pendant plus d'une semaine. Mes douches, baignades et autres tentatives n'arrivaient pas à m'en débarrasser.

Depuis ce jour, nos visites ne se sont jamais arrêtées. Mon géniteur prend toujours soin de m'amener là-bas lorsque je m'y attends le moins. La surprise, l'inattendu sont des choses capitales pour Monsieur Odair. D'après lui il faut me confronter à la réalité de la fragilité de nos corps.

Tout le monde a déjà vu la faiblesse du corps humain à la télé. Mais d'y être confronté en face à face est une épreuve tout autre. Et je dois y être préparé, moi que l'on formate à tuer.

Je vois encore toutes ces images avec une netteté abominable. Mais je repousse mes souvenirs – une main ensanglantée, une plaie qui crache du pus jaunâtre, un visage violacé, la folie au fond de yeux ensanglantés – car je sais que j'y aurai de nouveau droit dans un instant.

L'hôpital se dresse à l'horizon. Enorme cube en béton, posé sur une petite bute comme tous les bâtiments importants des environs. Dans le noir il est sinistre, en plein jour il est triste. Je donnerais tellement pour ne pas y entrer. Mon géniteur ouvre la porte. Nous passons dans le hall.

Il n'y a personne à l'accueil. D'instinct je m'arrête. Comme si cette absence nous empêche de continuer. Monsieur Odair n'est pas de cet avis. Il me pousse dans le dos. Il connaît son chemin.

Hunger Games Le tribut de l'océanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant