Tome 1 : Prologue

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- Dis-moi Jules, cela fait maintenant presque deux mois que tu es en cours, est-ce que tu constates une avancée.

- Je ne sais pas trop. Je réfléchis, mais rien n'a changé. J'en suis toujours au même point, j'y vais soit de bon cœur, soit la mort dans l'âme. J'essaye de suivre les cours comme je peux en me prouvant que je suis capable d'aller jusqu'au bout.

- C'est déjà un bon début, me sourit ma psychologue, tout en marquant du bout de son stylo les quelques informations que je lui transmets. Tu as réussi à parler à de nouvelles personnes ? Me demande-t-elle du ton le plus amical qu'elle puisse trouver.

En voilà une question compliquée. Pas dans sa complexité elle-même, mais plus à aborder, de toute façon la réponse reste la même à chaque fois. Je souffle un coup en pensant aux deux mois que je viens de passer dans ma nouvelle école. Je m'étais dit que l'université était le moment pour moi de changer, je m'étais dit que j'irais enfin voir les autres, mais la réalité m'a vite rattrapé et j'ai commencé à douter, comme toujours. Je remarque les différents groupes qui se sont fermées, et cela depuis le premier jour de cours, mais pour moi ils restent inatteignables.

- Qui voudrait parler à quelqu'un comme moi, soufflais-je sans me rendre compte que j'ai prononcé cette phrase à voix haute. Madame Martin ne me juge pas, elle se contente de m'analyser avec son sourire habituel, sourire qui inconsciemment réchauffe cette pièce assez fraîche en ce mois d'octobre.

- Que veux-tu dire par là ?

- Je suis quelqu'un de banal, personne ne fait attention à moi. Dans un certain côté, c'est une bonne chose, mais dans un autre, cela ne permet pas aux gens de venir vers moi. J'aimerais bien avoir le courage d'y aller, mais à chaque fois je doute et quand je me sens enfin près, je recule malgré tout. Comme si sociabiliser représentait un obstacle presque infranchissable.

- Qu'est-ce qui te fait dire que tu es banal ? Me questionne-t-elle afin que j'approfondisse ma première pensée.

- Physiquement, je le suis. Enfin, je suis petit, aux cheveux bruns et aux yeux des plus marron qui soit. Ripostais-je. Il est plus facile pour moi de répondre que c'est mon physique le problème, ainsi ça évite d'explorer ce qui me pose vraiment problème.

- Je te trouve très charmant moi. Me confie-t-elle, ce qui me fait décrocher mon premier sourire. Je ne sais pas si elle le pense réellement, mais ça fait toujours plaisir à entendre. Surtout venant d'une personne comme elle, aux grands cheveux ondulés châtains qui lui tombent sur les épaules et aux yeux bleus appuyés par de longs cils. Elle est magnifique et ne doit pas avoir de mal à attirer un minimum l'attention. Et cette fille dont tu m'as parlé ? Elle me fait revenir sur terre en un claquement de doigt et je repense à la seule personne qui a bien voulu m'adresser la parole.

- Chloé ? Elle est gentille, après nous ne sommes pas ensemble dans chaque cour et elle a ses amis de son côté. Mais c'est vrai qu'elle est revenue vers moi récemment pour me parler.

La première fois que je l'ai rencontrée, c'est à la rentrée. Elle m'a sorti la fameuse phrase « Est-ce que je peux me mettre à côté de toi », lors de notre premier jour. Nous avons alors parlé, pas une grande conversation, mais ça m'a fait du bien. J'ai tendance à beaucoup douter de moi, surtout quand il s'agit de relation et même si c'est en grande partie lié à mon asociabilité et ma grande timidité, je sais que ce n'est pas la seule raison. Je sais que c'est aussi pour me protéger et empêcher que les autres d'apprennent ce qui me contrôle. C'est pour cela que j'ai réellement commencé plus jeune à me détacher des autres, même si avoir des amis est quelque chose de plus que plaisant, faut-il encore en trouver qui nous accepte complètement.

- Jules ? M'interpelle madame Martin. Tu es encore partie loin, est-ce que tu veux me raconter ?

- Il n'y a rien de spécial. Lui dis-je simplement. Il faut croire que je ne suis pas dans la période où je déballe toutes mes pensées jusqu'à ne plus pouvoir m'arrêter.

- D'accord, me dit-elle simplement, sans me forcer. J'avais une dernière question, comment se passe ta nouvelle vie en appartement ?

- Ça va, comme je l'ai déjà dit, au début j'avais peur de me retrouver seul face à moi-même. Mais finalement, c'est plutôt agréable. Je n'ai plus peur de montrer mes émotions et je ne suis plus obligé de faire comme si tout était normal...

- Personne ne t'y oblige tu sais, ta famille à conscience de ce que tu traverses.

- Je sais, mais c'est plus facile pour moi de faire comme si de rien n'était et de ne pas les impliquer. Par moment, habiter seul est difficile, selon la période, mais d'un autre côté, ça me permet d'extérioriser complètement ce que je ressens, sans peur d'être jugé, de mettre mal à l'aise ou juste de déranger. J'apprends à me prendre en main et à contrôler comme je peux tout ça, même si c'est toujours compliqué.

J'allais continuer, mais je tourne ma tête vers la petite pendule accrochée au-dessus de l'entrée pour voir que le temps est écoulé depuis maintenant un peu plus de deux minutes. Madame Martin ne me force jamais à m'arrêter net quand nos séances sont finies et je l'en remercie secrètement. De cette façon, j'ai moins l'impression d'être simplement un client aux divers problèmes mentaux, même si dans le fond c'est ce que je suis. Je tourne ensuite la tête dans sa direction et je lui souris. Je me sens beaucoup plus à l'aise en sa présence qu'avec mon ancienne psychiatre, qui m'a suivi et diagnostiqué pendant des années. Je suis content de l'avoir trouvé et ses séances sont pour moi un vrai refuge. Bien sûr, elles ne se ressemblent jamais, même si les thématiques sont toujours les mêmes, suivant là où je me trouve dans ma tête, les réponses seront différentes. De plus, toujours suivant dans quelles catégories je me trouve, nous n'abordons pas les mêmes points ou les mêmes conséquences sur ses thématiques.

Je me lève tout en lui serrant la main, dommage, la semaine prochaine je ne la reverrai pas. Voilà qu'il faut que j'en attende encore deux autres pour revenir dans son cabinet. Bien sûr, comme je rentre chez moi pour les vacances, j'aurais ma psychiatre habituelle, mais cette pensée m'enchante tout de suite beaucoup moins.

En sortant je me prends une bourrasque de vent en pleine face et je resserre comme je peux mon écharpe. Voilà que le beau temps prolongé de cet été laisse place à la fraîcheur de l'automne. Comme à chaque fois que je sors d'un cabinet après une séance avec un psychologue, je ne sais pas comment je dois me sentir. J'ai à la fois le cœur léger et rempli, et même si mes émotions se sont apaisées, elles sont encore bien trop présentes. Je ne sais d'ailleurs jamais si je dois sourire ou bien pleurer.

Enfin bon, tout ce que cette séance m'a apporté, c'est de me dire que cette année encore rien ne va changer...

Au delà des apparences (BxB) Tome 1+2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant