Tome 2 : Prologue

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    Je m'installe en face de Chloé, par terre, dans son nouvel appartement. Celui de l'an dernier était beaucoup trop loin de la fac et surtout beaucoup trop cher pour ce que c'était. C'est pour ça que l'on se retrouve aujourd'hui, quelques jours avant la rentrée, à attendre ses parents pour finir de l'aménager.

- Dis, maintenant que l'on est enfin tous les deux posés ensemble tranquillement, j'aurais voulu te parler de quelque chose, me dit-elle d'un ton un peu trop sérieux à mon goût.

    C'est vrai que cet été nous nous sommes vus, mais la plupart du temps mon père était dans les parages où nous étions avec nos amis respectifs. On s'est rendu compte en parlant au début de notre amitié que sa cousine habitait tout près de chez moi. C'est alors tout naturellement que quand elle était en vacances chez elle, elle est venue me rendre visite. C'est comme ça qu'elle a pu rencontrer mon père qui l'a visiblement adoré. Il lui a même préparé un plat rien que pour elle, pas vraiment réussi mais il a fait un effort, comme à chaque fois que quelqu'un de nouveau et d'assez proche vient manger à la maison.

    Je lui fais un signe de tête pour l'inciter à continuer de parler. J'en viens à me demander si tout va bien avec Louis, mais normalement oui, il devrait même nous rendre visite aujourd'hui. J'espère qu'elle ne va pas m'annoncer qu'elle décide de changer de licence avant de commencer la deuxième année. Je crois que ce serait réellement la pire chose qu'elle puisse me dire, elle est redevenu mon seul repère dans notre classe.

- Voilà, en fait avant je voyais une psychologue à cause du divorce de mes parents, mais cela fait un moment que je n'en vois plus. Alors je me suis dit pourquoi ne pas en choisir un ou une dans cette ville. Mais je ne sais pas trop où aller...

    Elle laisse volontairement sa phrase en suspens, du moins c'est comme ça que je le ressens et j'ai presque l'impression que dans son dialogue se cache un piège. Je souffle intérieurement et fais quelque chose qui me coûte vraiment, mais que je dois tout de même faire.

- Tu devrais essayer madame Martin, elle est super.

- Oh, c'est vrai ? Toi aussi tu vas voir une psychologue ? C'est cool. Je pense que tout le monde devrait en avoir une ou un et surtout pouvoir en parler sans avoir peur du jugement.

    Je secoue rapidement la tête, non seulement pour sa question, mais également pour le reste. C'est vrai que cela serait super, mais c'est effrayant, surtout quand tu sais pourquoi tu y vas. Mais ça y est, elle sait que j'y vais et c'est un soulagement. Combien de fois cet été je me suis répété que je devais absolument faire des efforts et m'ouvrir auprès de Chloé. Elle me lance une perche actuellement, elle me la place même dans la main. Bien sûr, je ne me sens pas prêt à lui dire pourquoi j'y vais réellement, mais lui dire que j'y vais est déjà un bon début. Au moins, elle m'évite d'engager le sujet par moi-même. Je me suis pour cela entraîné devant la glace un nombre incalculable de fois, ou encore devant mon monsieur cochon, en répétant des tonnes de scénarios. Tout ce que je disais était vraiment maladroit et gênant, rien n'allait. Le fait de juste annoncer comme ça dans le tournant d'une conversation que ce soir j'allais chez la psychologue ne m'enchantait pas non plus. Je suis content qu'elle semble si à l'aise d'en parler et qu'elle lance le sujet.

- Je suppose que tu y vas depuis l'an dernier ? Tu aurais dû me le dire.

- Je... Oui, je ne sais pas pourquoi je ne l'ai pas fait, mentais-je en rougissant sûrement comme une tomate.

- Enfin bon, je vais sûrement suivre ton conseil et tester, peut-être qu'elle me conviendra à moi aussi. Tu y allais les lundis, c'est ça ?

- Comment tu sais ? M'exclamais-je, tandis qu'elle me sourie tendrement, toujours ouverte sur le sujet.

- Ce n'était pas si compliqué à deviner, tu avais toujours quelque chose à redire si on t'invitait le lundi à une certaine heure.

- C'était si évident que ça ? Paniquai-je.

- Je ne sais pas trop, en tout cas c'est quand même assez suspicieux.

    Mince, si elle a deviné que je cachais quelque chose, ce n'est certainement pas la seule. Enfin bon, tant pis, c'est fait et puis encore une fois ça m'aide à m'ouvrir davantage sur ce qui se passe réellement dans ma vie et qui je suis réellement.

- Tu auras dû me le dire, enfin rien ne t'y force, mais je suppose que si tu ne me l'as pas dit c'est qu'il y a une raison. En tout cas, tu peux me faire confiance, me confie-t-elle dans un grand sourire amical, alors que je suis déjà au courant. Cependant, ce n'est pas aussi simple, même si j'aimerais. Je trouve que tout le monde devrait voir un psychologue, pour n'importe quel sujet. C'est quelque chose d'important de se confier pour s'alléger. Je ne comprends pas ceux qui jugent les autres parce qu'ils y vont. C'est notamment pour ça que j'aimerais le devenir, pour pouvoir laisser la chance à chacun de s'exprimer comme ils le souhaitent et surtout, se sentir plus léger. Et ça pour n'importe quelle raison. Que ce soit un problème familial, social, le stress ou certaines choses que l'on ne pense pas forcément tout de suite... Elle s'arrête un instant pour me regarder droit dans les yeux avant de reprendre. Comme les troubles mentaux par exemple. Ce sont aussi des sujets importants à ne pas oublier. Comme la dépression, la schizophrénie ou encore la bipolarité... J'aimerais laisser la chance à ses patients de communiquer, parce que c'est la chose la plus importante à mes yeux. Je sais qu'ils sont généralement plus pris en charge par des psychiatres, mais je veux être là pour eux, pour qu'ils comprennent qu'ils peuvent me faire confiance et ne surtout pas rester seuls. Qu'ils comprennent que ça ne les différencie pas et ne les exclut pas des autres. Que c'est important d'en parler pour qu'ils s'acceptent, qu'ils comprennent qu'ils sont parfaits comme ils sont et qu'ils peuvent en parler...

    Son monologue me laisse sans voix et pas parce que dans le fond elle a raison mais plutôt parce que cela me touche personnellement et que c'est exactement ce que me dit madame Martin. C'est essentiellement parce que je sens dans sa voix qu'elle sait quelque chose, que ces paroles ne sont pas de simples paroles en l'air. Pour tout dire, je ne sais pas comment réagir. Mon cœur accélère et alors que j'aimerais parler, ses yeux, bien qu'ils soient bienveillants, me transpercent. J'arrête de réfléchir, j'en suis bien incapable. Voilà la deuxième perche que je dois saisir, je dois la prendre pour lui dire la vérité, pour me soulager de ce poids.

- Je vois. Je suis sûr que tu seras une merveilleuse psychologue.

    Je souffle intérieurement, j'ai raté ma chance. J'aurais aimé lui dire, mais quand tu caches quelque chose depuis maintenant six ans et que pendant toutes ses années tu te perçois que c'est la meilleure chose à faire, que si tu le dis tout partira en vrille, ça en devient impossible à révéler.

    Elle allait ajouter quelque chose, mais les personnes derrière la porte ne lui en laissent pas le temps. Elle se ravise avant d'ajouter autre chose.

- Prêt à rencontrer mon père et ma belle-mère ? Tu vas voir, même si mon père paraît froid, il est adorable. Pour ma belle-mère... Disons que c'est l'opposé, elle adore rentrer dans ton espace et surtout, elle n'arrête pas de parler. Ne t'inquiète pas, Louis ne devrait pas tarder alors normalement tu n'auras pas à tenir seul très longtemps. Même en l'ayant vu la plupart de l'été, ils seront concentrés sur lui et pourront te laisser tranquille, notamment ma belle-mère. Finit-elle avec un clin d'œil avant de se précipiter vers la porte, me laissant là, toujours aussi bouche bée et incrédule.

    Se pourrait-il qu'elle en sache plus que ce qu'elle voudrait bien me dire ? Si oui, comment a-t-elle su ? Mais surtout, est-ce une bonne ou une mauvaise chose ?

Au delà des apparences (BxB) Tome 1+2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant