Je laisse mes yeux vagabonder sur les paquets de céréales qui se présentent devant moi, mais ils sont incapables d'accrocher quoi que ce soit. Mes yeux voient et analysent, mais ça ne monte pas jusqu'à mon cerveau. Celui-ci est bien trop occupé à repenser en boucle à ce que m'a dit Chloé il y a deux jours. Je crois que depuis je n'ai jamais autant évité de parler à quelqu'un, c'est pour dire. Heureusement, enfin dans ce cas précis, que nous ne nous retrouvons pas dans la même classe dans chaque cours. Ils ont demandé avec qui nous nous entendions le mieux dans la classe, donc ça ne devrait pas tarder. Pour le moment, avec la lenteur de l'administration, c'est par ordre alphabétique que nous nous retrouvons. Bien sûr, je la vois dans les cours en amphithéâtre et ce n'est pas facile de l'éviter quand elle essaye de te parler, alors qu'elle a ses fesses posées sur la chaise d'à côté. Bon, j'exagère un peu, elle respecte mon choix, si on peut dire que c'en est un, et elle ne me parle plus de cette histoire. Même si je sais que je ne pourrai pas y échapper éternellement. Elle me laisse le temps de m'adapter plus ou moins à cette situation.
Sur le moment, quand elle a lâché la bombe, mon cerveau s'est mis à disjoncter. Je ne plaisante pas, ça ne m'était jamais arrivé, mais là c'est limite s'il se trouvait sur une autre planète alors que moi je me trouvais là, dans le salon de mon appartement, la bouche grande ouverte mais sans aucun mot qui n'ait pu en sortir. J'aurais voulu m'expliquer, mais j'ai tellement gardé pour moi tout ce qui touche ce sujet que j'en ai été incapable. En dehors des cabinets je n'en ai jamais parlé, mon père a bien essayé mais déjà à l'époque c'était au-dessus de mes forces. J'ai tellement intériorisé les choses avec le monde qui m'entoure que les mots refusaient de sortir. Je suis resté là, à ne rien dire et à ne rien faire, pendant je ne sais combien de temps. Ça aurait aussi bien pu durer une minute qu'une dizaine, je crois bien qu'à ce moment-là j'ai aussi perdu la notion de temps. Le maximum que j'ai réussi à sortir, ce sont des syllabes incompréhensibles. Mais vraiment incompréhensible, moi-même je n'ai pas compris ce que j'ai voulu dire, c'est pour dire. Au début elle a un peu insisté pour que je lui parle et s'est mise à me rassurer en me disant que rien ne change, que je suis le même et un ami génial et tout plein de choses dans ce style qui sont sensés m'aider, mais surtout me détendre. Malheureusement, avec moi ça n'a pas fonctionné. Je suis resté muet tout du long, sans même bouger d'un millimètre. Le fait de m'avoir appris et révélé ça d'un coup ne m'a pas permis de me préparer mentalement. Même si je pense que je ne l'aurais jamais été. Alors elle a tout simplement changé de sujet comme si de rien n'était. Son visage s'est voulu plus joyeux, elle voulait faire comme si elle n'avait rien dit, même si elle m'a tout de même bien spécifié que nous en reparlerons. Pour ma part, j'ai eu du mal à reprendre un peu de contenance, mon corps et mon cerveau ne répondaient toujours pas. On aurait dit que je sortais du coma ou quelque chose comme ça et qu'il fallait que je me réhabitue au monde qui m'entoure. Jusqu'à ce qu'elle parte, je n'ai pas réussi à redevenir complètement à l'aise, ou tout simplement reprendre possession de mon corps et mon cerveau. J'étais, quand elle est partie, encore à moitié une momie. Depuis je ne suis pas beaucoup mieux, mon cerveau et mon corps semblent toujours être à des kilomètres de là.
Tout ça fait que je me retrouve là, à vagabonder dans les rayons, maintenant fromagé, pour essayer de faire mes courses. Je dis bien essayer parce que si en temps normal c'est loin d'être la tâche que je préfère, aujourd'hui elle est tout simplement devenue compliquée. Je marche en oubliant ce que je cherche et si j'arrive à faire aller mes jambes où je désire qu'elles aillent, c'est la même chose, j'oublie ce que je suis venu chercher. Quand enfin je m'en rappelle je reste longtemps devant, comme si j'analysais mes aliments, alors que c'est tout autre chose qui s'empare de toute la place de mon cerveau. Les personnes aux alentours doivent vraiment se demander ce que je fais. Je suis à la limite de ressembler à un pnj, quoi qu'en faite je peux enlever le « à la limite », soyons honnête, c'est à ça que je ressemble actuellement. On pourrait croire que je suis pour le moment dénué d'émotions, mais c'est tout le contraire.
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Au delà des apparences (BxB) Tome 1+2
RomanceBien souvent, les personnes qui nous entourent, comme nous-mêmes, présentent deux facettes. Dans ces deux facettes, il y a celle que l'on projette au monde et celle que l'on garde pour nous. Celle-ci est souvent beaucoup plus dévastatrice et dépasse...