triste souvenir...

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A pied, dans la rue, on a froid. Steeve marche la tête baissée, le regard fixé sur ses pieds. Je grelote. On se dirige grâce au GPS de mon téléphone vers le magasin de pompe funèbre le plus proche. Au bout de dix minutes on arrive devant un grand bâtiment qui fait le coin d'une rue dans le centre-ville. Les lettres clignotant à cause de l'usure affichent le triste nom de « pompes funèbres ». Steeve s'arrête devant et souffle en baissant la tête.

- On entre ? demandé-je.

- Oui.

On pénètre dans le magasin. L'ambiance me paraît sinistre. Peut-être que se sont les circonstances et pas vraiment le lieux... En réalité il est même plutôt avenant. Deux grandes baies vitrées font rentrer de la lumière dans la pièce blanche et espacée. La dame sourie derrière son comptoir. Je trouve ça étrange tant de choses qui peuvent s'apparenter à de la joie - des sourires, une pièce avenante - alors que les gens qui viennent ici ont perdu quelqu'un... Cet oxymore est déstabilisant. Un tel endroit ne pourra jamais être heureux malgré les efforts - d'ailleurs incommodants - que fournissent les propriétaires de la société.

Après quelques minutes à arpenter les étagères, Steeve se dirige vers la caisse avec un gros bouquet de roses noires. Son choix m'a légèrement étonné mais je n'ai pas osé poser de question sur ses raisons.

- Bonjour, soufflé-je.

- Bonjour, lance toute joyeuse la dame vêtue comme une vieille bique, des lunettes à lacet encadrant ses petits yeux ridés.

Son ton heureux m'énerve, et pas seulement que moi visiblement. Steeve sert les points en se collant à moi pour chercher une stabilité. Je lui prends la main délicatement.

- Très bon choix, continue-t-elle en souriant de toutes ses dents.

Steeve sert plus fort ma main.

- On est pressé, dis-je pour qu'elle ferme sa bouche et encaisse le bouquet.

La femme obtempère sous mon ton sec. On sort ensuite du magasin, tendus.

On prend alors le bus pour aller jusqu'au cimetière de la ville. C'est ici que repose sa mère. En arrivant à l'arrêt le plus proche de notre point d'arrivée, je me rends compte que le cimetière n'est pas si loin que ça de l'appartement de Steeve. On marche même pas une minute et arrivons devant le grand portail gris délavé du muret qui entoure le cimetière, comme une délimitation qui protège le doux monde des morts à celui sans pitié des vivants.

Ou peut-être est-ce l'inverse ? Nous protéger nous des revenants ? Je m'imagine soudain une aura verte, comme une barrière magique infranchissable, se dresser au-dessus du muret... Non, je ne dois pas voir les morts de cette façon. Ils ne sont pas à craindre. Je n'ai jamais perdu un proche... Je ne sais pas vraiment ce que ça fait, ce qu'on ressent, les questions qu'on se pose, les différentes visions de la mort et du défunt, et celles qui nous font culpabiliser ou même pire, celles qui nous dégoûtent... Steeve s'imagine-t-il sa mère rongée par les vers sous sa tombe ?

- Regarde, dit-il en me sortant de mes pensées malsaines.

Il me montre du doigt un point au loin dans le pâté de hauts bâtiments vieillots et froids du centre-ville. On le voit d'ici. Je remarque même que Steeve me montre précisément son appartement qu'on peut remarquer là parmi les autres... Je comprends alors que, de la fenêtre de son salon, on peut voir le cimetière... C'est ça qu'il regardait ce matin... C'est à elle, à sa mère, qu'il dédie ses chansons quand il joue de la guitare devant la fenêtre...

- Oh... soufflé-je pendant qu'il avance vers l'entrée comme si ça lui était trop difficile de rester trop longtemps sur une même idée ou conversation.

La fois de tropOù les histoires vivent. Découvrez maintenant