un remède ?

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   Ça fait deux semaines que je suis partagée entre deux sentiments ; le jour je retrouve ma joie de vivre avec mes amis, je rie, je parle gaiment, je me remets même à bosser en vue des épreuves de Bac qui approchent. J'arrive même à me dire que c'est mieux sans Steeve, que la fin de notre relation toxique est bénéfique pour moi. 

Mais le soir, le soir c'est horrible. Je me sens terriblement seule, envahie de sentiments noirs, si noirs. Je fais des insomnies, je commence même à avoir des tics de nervosité. Et tout ça sous les yeux de mes parents qui ne remarquent rien. Je me scarifie presque tous les soirs. Mais pas une seule larme n'a coulé depuis longtemps. C'est ça le plus compliqué. Je n'arrive pas à pleurer. Mon cerveau se pose tellement de questions. Je pense à tant de choses en même temps. Tout s'entasse sans sens concret mais ça me fait tellement souffrir. 

Je veux reprendre ce truc. Ce que Fatima m'avait donné. Je veux en trouver. Je dois en trouver.

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Les examens sont dans deux semaines. Je dois trouver quelque chose pour dormir si je veux être en forme pour les réussir.

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J'ai remonté ma moyenne d'un point. Je sors souvent avec des amis les mercredis après-midi. 

J'évite Steeve dans les couloirs mais ça me fait mal de le voir. Je n'arrive pas à savoir ce que lui pense en me voyant ? Nos regards se croisent pourtant souvent. J'aimerai tant lui manquer. 

Mon petit frère me fait rire. 

Je suis retournée au cheval et le père de Steeve a repris sa jument. Il a déménagé m'a dit la coach. J'étais triste d'apprendre si brusquement le départ de Miéline. Je l'adorais cette jument. Ça aurait été une très belle expérience de faire la tournée de concours avec elle... Je n'ai même pas pu lui dire au revoir. Mais, point positif, je ne vais pas avoir à supporter la présence du père de Steeve. Il a fuit ce lâche...

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J'ai entendu parler de Juan, un première de mon lycée qui vend des cachets. J'ai récolté discrètement des informations sur lui, et là, je vais le chercher en cours de récré. Je le trouve enfin, assis sous un arbre, seul. Il est habillé de façon très dégradée ; un pantalon trop grand pour son corps maigre et un tee-shirt rouge troué derrière l'épaule. Ses chaussures ne doivent plus être très étanches.

- Salut, lancé-je.

- Qu'est-ce que tu veux ? demande-t-il sur la défensive.

- Des cachets. Tu m'en donnes combien pour quel prix ?

- Toi ?

Il me juge de haut en bas. Je ne dois pas avoir le profil de ses clients habituels. 

- Oui, moi. Alors ?

Il a des énormes cernes sous ses yeux bleus qui auraient pu être beaux si ils n'étaient pas accompagnés de ces derniers. Sa barbe est mal rasée mais malgré ses négligences en terme de soin de sa présentation, il n'est pas moche pour autant.

- Bah, tu veux quoi ?

- Quelque chose qui fait dormir.

Il fixe quelqu'un derrière moi. Je me retourne ; Steeve se tient à quelques mètres de nous, avec deux amis à lui. Il m'observe.

- Alors ? repris-je en me retournant vers Juan.

- Je te ramène ça demain.

- Merci.

- Ça fera trente balles.

Je suis surprise par le prix. Mais je n'ai pas d'autres choix.

- Ok.

Je pars et m'aperçois que Steeve me regarde encore, mais discrètement, du coin de l'œil.

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Le lendemain, je vais chercher les cachets au même endroit et à la même heure. Il fait beau aujourd'hui. Le beau temps s'est enfin installé définitivement. Je suis en tee-shirt décolleté et en jupe courte. Un léger vent vient frôler ma peau pendant que je traverse la cour. C'est agréable. 

Là, je me dis que dans quelques semaines je quitterai ce lycée. Je ne traverserai plus cette cour. Je ne verrai plus ce saule pleureur à côté du chemin qui mène au bâtiment de l'internat. 

J'adore les saules pleureurs. Ce sont mes arbres préférés. On dirait qu'ils protègent de leurs longues branches une zone. Cette zone qui semble coupée du monde quand on la pénètre. On se sent comme dans un univers magique. La grâce de leur feuillage qui se balance au vent me berce. On pourrait aussi les voir comme dégoulinant de tristesse qui perle le longs de leurs branchages et qui vient s'échouer par terre quand il pleut. Comme si ils pleuraient.

J'approche de Juan, qui n'est pas seul cette fois.

- Salut.

- Tu les veux maintenant ?

- Oui.

- Tu as l'argent ?

- Oui.

Il est avec une fille brune, petite, à lunettes. Elle a l'air de comprendre ce qu'il se passe, et ne bronche pas d'un poil. C'est peut-être sa copine. Elle est habituée à ses magouilles.

Juan sort de son sac un petit sachet transparent qui contient des cachets blancs. 

- Tu peux les écraser et les aspirer par le nez.

- Ok.

- Jamais deux dans la même soirée. Prend-les avant de dormir.

- Ok.

La fille me dévisage. Je me rends compte que c'est le moment de payer. Je sors mon argent et le leur tend.

- Le compte est bon, remarque sa copine pendant que Juan les fourre dans son sac.

- Discrète hein.

- Oui, répondis-je.

- Parfait. T'en a pour deux semaines.

Je pars en vitesse avant que ça sonne. Je remarque Steeve, seul dans un coin de la cour, appuyé contre un grillage. Il a l'œil tranquille mais braqué sur moi tel un vautour qui observe. Je sens un malaise m'envahir. Il baisse la tête tristement et la secoue. Est-ce qu'il sait ce que Juan vient de me donner ? Il doit avoir des contacts dans ce domaine et ça ne m'étonnerait pas qu'il connaisse les activités de Juan.

Je passe mon chemin.

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Je suis seule à l'internat ce soir. Charlie a eu un problème et a dû rentrer chez elle exceptionnellement. Ça m'arrange car je compte prendre la merde que m'a refilé Juan en paix. Son absence me laisse plus de temps pour élaborer une stratégie pour prendre ça sans qu'elle ne s'en rende compte quand elle sera de retour.

Le soir, en pyjama dans mon lit, je m'étale sur le dos. Je vais enfin passer une bonne nuit. 

J'ouvre le sachet et m'empare d'un cachet. Je dois l'écraser. Je chope ma carte de cantine posée sur ma table de chevet et pose le cachet sur un livre. Quel hasard, je prends « l'herbe bleue ». J'écrase avec la tranche de la carte électronique le petit cachet jusqu'à ce qu'il soit réduit en une petite poudre blanche que je rassemble en trait fin. Je me penche et inspire en me bouchant une narine. 

Ça fait rien mais il faut être patiente. Je m'allonge sous mes draps, au chaud. Je suis en sécurité, dans mon lit. Mais jamais totalement. Car il reste moi-même. Il faut dormir pour que le moi-même ne soit plus là. 

Des images de mon enfance apparaissent. J'étais si épanouie. J'étais pure. Pas tout le temps joyeuse, soit, mais si solaire. Mes seuls problème se résumaient à ne pas avoir le droit de prendre un vers de coca le soir au diner. Mais ça n'a duré que très peu de temps car j'ai été vite en avance sur mon âge. J'ai donc rapidement commencé à me poser beaucoup de questions, à prendre conscience de choses que des enfants de mon âge n'avaient pas conscience. Et c'est dur d'être mature. C'est dur de réfléchir. En fait, je n'ai pas eu une enfance si géniale. 

J'ai sommeil... Tellement sommeil... Mes paupières sont lourdes. Mes mains aussi, ainsi que mes jambes. Je sens des fourmis dans mes doigts. 

J'ai envie de faire l'amour. Mais avant ça, je veux dormir en fait. Juste dormir.

La fois de tropOù les histoires vivent. Découvrez maintenant