Morphologiquement, l'espèce djemaï
possède bien des points communs
avec les humains ou les Falagarans.
Toutes sont dotées deux bras, deux jambes,
un tronc et une tête. Il semblerait,
d'ailleurs, que ce soit la forme privilégiée
par dame nature pour créer ses êtres
doués de cognition et capable de se
répandre dans l'espace restreint d'une planète,
à même titre que dans celui très vaste de l'univers.
Cette espèce, née dans M31(27), ou NGC224(28),
ou encore Andromède(29), est donc d'aspect humanoïde.
Elle a colonisé une partie de sa galaxie
en employant parfois la force brute.
Au cours de son expansion, elle a rencontré
diverses espèces, différentes de la sienne
Comme toute civilisation, elle présente des
caractéristiques contraires les unes aux autres.
Là-bas aussi, les ambitieux côtoient ceux qui
préfèrent vivre en paix et s'adonner à la science
ou la philosophie, voire, de manière plus terre à
terre, à la subsistance. Ainsi, la phrase de
Rabelais, le sceptique, vaut également pour
cette partie de l'univers :
science sans conscience n'est que ruine de l'âme.Encyclopediæ Humanum
Le vaisseau file à vive allure pour rentrer à sa base.
Enfin, pense le pilote, je vais pouvoir rejoindre les miens. Tous ces mois vécus loin de sa famille l'ont rendue triste et nerveuse à la fois. Le manque d'habitude, certainement. El se sait jeune et perfectible. Et cette mission interminable, passée à ne quasiment rien faire, si ce n'est observer et écouter lui a paru durer une éternité. Du temps perdu, pense-t-el. Pour ainsi dire, rien de nouveau ne s'est révélé à son esprit. Si ce n'est l'effervescence qu'a engendrée l'interception de ses communications avec son guide.
Lorsqu'el a accepté cette tâche, el ne s'imaginait pas endurer cette solitude aussi longtemps. La métamorphose de genre de son organisme s'est produite trois fois durant ce laps de temps. El est parti mâle et revient femelle. Va-t-el pouvoir même reconnaître son compagnon, mère de son enfant ? Dans la mesure où chaque transformation apporte son lot de changements d'aspect physique irréversibles. À chaque mutation, el ressemble de moins en moins à ce qu'el était autrefois.
L'aura-t-el attendue, malgré ses paroles d'amour régulièrement répétées ? Rien ne lui paraît moins certain, car cel qu'el considérait comme son/sa compagne est plutôt connue pour sa versatilité et sa difficulté à résister à l'attrait de la nouveauté.
Sa joie de rentrer se trouve en grande partie contrebalancée par sa crainte de tout perdre, ou partie.
El oscille donc entre l'euphorie qu'engendre ce retour et la plus profonde dépression qu'el pourrait lui causer.
Au moins, même si sa relation devait partir à vau-l'eau, le service rendu à l'armée de son guide ne restera pas vain. Il devrait lui procurer un statut élevé dans la hiérarchie. Sa civilisation étant basée en apparence sur la méritocratie, son action inactive sera reconnue à sa juste valeur. C'est ce qu'indique le Haga Simaniuk, le livre vénérable du sens de la vie.
En son temps propre, le voyage a duré aux alentours de deux jours.
— Ordinateur, calcule depuis quand j'ai quitté ma planète !
— Exactement deux ans, quatre mois et six heures en temps local. Voulez-vous que je vous donne les minutes et secondes ?
— Ce ne sera pas nécessaire ! Et pour mon trajet de retour ?
— Quarante-trois jours de Djemaa !
— Nous atterrissons quand ?
— D'ici une heure sept minutes !
* * *
La pilote s'est attendue à une arrivée triomphale, au vu de l'exploit qu'el imagine avoir réalisé. Erreur de sa part. Seuls trois militaires en arme l'accueillent au pied de son appareil.