Un cochon en fuite

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Un vent frais saisit les six bonnes qui pénétrèrent dans la chambre de l'étrangère. Il balayait les rideaux fermés du lit à baldaquin et faisait virevolter des feuilles de papier. La fenêtre du balcon était grande ouverte laissant la brise emporter le parfum des lavandes qui décoraient la chambre.

Silencieuses, afin de ne pas réveiller leur nouvelle maîtresse, elles se séparèrent pour accomplir leurs tâches.

La plus jeune Marie ferma la fenêtre et aida Rachel à ramasser les feuilles noircies d'une écriture fine qui jonchaient le sol tandis que deux autres préparaient le bain et qu'une autre apportait le petit-déjeuner par la porte secrète. Ophélia eut comme tâche de réveiller la marquise.

Ses camarades avaient tiré au sort et c'était elle qui avait perdu.

Elle devait tirer le rideau pour la réveiller, mais le doute la prit. Et si l'étrangère ne voulait pas être réveillée ? Après tout, la tionienne n'avait demandé aucun petit personnel, mais ses appartements étaient vides. Et si en la réveillant, elle signait son arrêt de mort ? Le sort d'une domestique, pouvait-il être important pour une femme qui avait tenu tête au roi devant sa Cour ? Ophélia savait que non.

Elle prit une grande inspiration et tira délicatement le voile blanc pour laisser les quelques rayons du soleil réveiller la marquise en douceur.

La couche était vide.

Les draps étaient tirés comme si personne n'y avait dormi. Ophélia n'y comprenait rien. Où était l'étrangère ? Avait-elle dormi ou s'était-elle enfuie malgré les ordres du roi ? Ophélia appela ses camarades qui se précipitèrent pour l'aider à trouver leur nouvelle maîtresse.

Les six femmes inspectèrent les moindres recoins passant de la salle de bain aux placards sans oublier de regarder sous le lit ou dans la penderie. Elles ne trouvèrent que quelques robes de voyages et la grande robe bleu roi qui était posée sur le divan. Une malle d'ébène ornée d'un chat aux oreilles pointues était rangée dans la grande penderie, mais un cadenas empêchait son accès. Le reste des appartements était vide. Fallait-il appeler les gardes pour signaler la disparition de l'invitée ?

Ophélia n'eut pas le temps de formuler sa question à ses camarades que quelques coups brefs furent tapés aux carreaux d'une fenêtre.

Vêtue d'une simple chemise de nuit blanche qui lui couvrait les chevilles, une femme attendait. Les mèches dorées de son chignon couvraient son beau visage rougi et la buée qui s'échappait de ses lèvres laissait deviner qu'elle avait froid. La marquise dut réitérer son geste pour sortir de leur torpeur les femmes qui la regardaient bouche bée. Ophélia fut la plus rapide. Elle courut à la fenêtre, la fit rentrer en la tirant par le bras oubliant les règles et l'assit sur le fauteuil le plus proche en la couvrant d'une couverture.

Toutes les six étaient alignées face à leur nouvelle maîtresse qui les transperça de son regard vif. La jeune femme jaugea tour à tour ses nouvelles domestiques.

Lorsque la tionienne croisa le regard effrayé de la plus jeune, cette dernière fondit en larmes. Marie avait fermé la fenêtre et savait que le fouet l'attendait. Se rappelant de la douleur, elle s'effondra au sol.

La femme aux cheveux blonds eut un imperceptible mouvement de recul.

- Relevez-vous mademoiselle.

Marie s'exécuta rapidement face à la voix glaciale de la marquise.

- Je vous en supplie ! J'ignorais que vous étiez dehors !

- Arrêtez mademoiselle.

Le ton sec coupa les jérémiades de Marie.

Le destin d'AnnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant