Un âne qui chie de l'or

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— Qu'en penses-tu ?

Gabriel se retourna et son interlocuteur explosa de rire. Lorsqu'il vit son reflet dans le miroir, il le suivit dans son enjouement.

La scène prêtait à sourire puisque l'héritier portait une perruque brune à boucles, affreusement mal assortie à son costume violet criard.

— Tu ressembles à un mouton sorti du toiletteur, ricana l'homme sur le fauteuil bleu.

Le jeune homme retira la perruque pour en enfiler une autre rousse. Celle-là était raide et tombait sur ses oreilles. Il s'observa dans le miroir accroché au mur du pavillon de chasse. Les cheveux clairs associés à son teint éclairci par la poudre le rendaient maladif. Il regarda à travers le miroir son ami pour avoir son avis.

— Si on te reconnaît, c'est que je ne peux plus baiser, s'exclama Victor.

— Je ne comprends pas comment elles peuvent être attirées par ta sale tête, ricana Gabriel.

L'amputé s'appuya sur ses bras épais pour sortir du fauteuil bleu et s'installer sur une chaise au dossier rouge matelassé. La chaise en bois de bouleau était assez légère et reposait sur deux roues et deux roulettes qui lui permettait de se déplacer à la force de ses bras. Il se mouva avec aisance jusqu'à l'héritier et lui donna un coup de poing dans les côtes.

Le jeune homme se retourna et lui rendit son coup avec force dans l'épaule.

Il mit une cape noire richement brodée sur ses épaules et enfila des bottes d'un vert anis. Sur son visage flottait un sourire railleur et ses yeux pétillaient d'excitation.

— Si seulement je pouvais t'accompagner. Nos sorties improvisées me manquent !

La voix de son ami était enjouée mais l'héritier savait qu'il vivait mal sa situation.

— Je te ramènerais quelqu'un à interroger !

Un sourire fendit le visage de Victor.

— Tu sais parler aux hommes toi !

Le prince s'esclaffa et claqua la porte du pavillon de chasse. Un hongre à la robe alezane l'attendait sur la pelouse. Ce n'était pas le sien mais il se familiarisa rapidement avec la bête qui l'accepta sur son dos. 

Il mit le pied à l'étrier et galoper vers la lisière de la forêt.

Après plus de quinze minutes de route, il atteignit une auberge.

L'établissement était une grande chaumière qui s'étalait sur deux étages. Elle était un peu en retrait de la capitale et de la route, mais devant son porche, il y avait un grand nombre de voitures. Une grande écurie à gauche de la route était surveillée par deux palefreniers qui s'empressèrent de mettre le cheval dans un des boxes après que celui-ci les ait grassement payés.

Le jeune homme lissa sa moustache et pénétra dans l'établissement. De l'extérieur, les bruits étaient étouffés par les fenêtres, mais quand la porte s'ouvrirent le brouhaha s'échappa.

Déguisé, il s'installa au bar difficilement. Sa fausse bedaine le gênait et ses bras étaient entravés par les épaisseurs de tissus. Son déguisement était efficace, mais il lui donnait affreusement chaud dans l'ambiance étouffé de la taverne. 

Il commanda une bière et épia la salle avec attention. Son contact l'avait informé que le comte de Maliu avait rendez-vous ici.

Cet homme était une menace.

Gabriel le soupçonnait de fomenter une révolte. Ses espions l'avaient informé de ses mouvements suspects avec des aristocrates qui n'ont absolument aucun lien avec le ministre des Affaires étrangères. C'est pourquoi il était dans cette auberge, car ce soir le comte avait une entrevue avec un de ses sbires.

Cela faisait une heure qu'il attendait et il s'ennuyait fermement. Où était l'action ? Il aimait se battre, mais là mis à part boire, il tortillait sa moustache.

Il ne pouvait même pas se distraire avec les filles puisque son apparence n'attirait pas grand monde. Certaines l'avaient approché car il semblait riche mais il les avait renvoyé en voyant leurs mains baladeuses dans ses poches. Il était vingt-deux heures et le comte n'était pas venu. Il finit son verre et se leva pour rejoindre la sortie.

Une femme rentra et lui donna un coup d'épaule en franchissant la porte.

— Putain ! Faites attention ! s'exclama l'héritier.

L'inconnue lui jeta un regard noir et s'éloigna sans s'excuser vers l'escalier.

Il eut le déclic.

Il avait déjà vu ces yeux bleus comme la glace au palais. Ce devait être une bonne ou une fille de joie d'un aristocrate. C'était elle qui avait rendez-vous avec le comte de Maliu pour son maître.

Il s'éloigna de la porte et entreprit de suivre l'inconnue à l'étage. Il eut le temps de la voir s'engouffrer dans une des chambres. Il retira les mousses qui le grossissaient avant de coller son oreille à la porte.

Des cris étouffés par le bois lui parvenaient.

— Où étiez-vous ? Je vous attends depuis une heure dans ce taudis !

C'était un homme à la voix aigüe qui parlait avec agitation. Il semblait préoccupé.

— Elle est plutôt sympathique cette auberge dans le genre nid à maladie, lui répondit une femme à la voix rauque. De quoi vouliez-vous parler si loin de la Cour ?

Gabriel se pencha attentivement et stoppa sa respiration.

— Mettez Sonia de Casteria sur le trône et je vous offre tout ce que vous voulez, répondit le comte but en blanc.

— Vraiment ? Tout ce que je veux ? Un âne qui chie de l'or s'il vous plaît, répondit la femme sérieusement.

L'héritier ricana.

Une vraie roturière.

Le comte laissa échapper un hoquet de dégoût.

— Je ne suis pas magicien, mais j'ai ouï dire que vous vouliez des terres et une part de marché. Si mademoiselle de Casteria devient reine, je jouerai de mon influence et ces terres seront en votre possession. Tenez et lisez.

Gabriel entendit un papier froisser.

— Voici l'acte. Si mademoiselle de Casteria est sur le trône, ce document sera signé et certifié officiellement de la main du roi.

Le silence se fit dans la pièce.

L'héritier grimaça. Il devait se méfier de tout papier concernant l'économie d'une de ses terres.

— Si c'est Charlotte qui devient reine ? questionna la femme.

— Alors ce document ne sera pas signé et vous vous débrouillerez avec vos problèmes. Je suis de votre côté.

Un bruit de chaise raclant le sol se fit entendre. Gabriel déduisit que l'entretient été terminé et que le conte allait prendre congé.

— Pas de coup bas sinon je ferais de votre vie un enfer, prévint la femme.

C'est sur cette menace que se conclut l'entrevue.

Gabriel entendit la porte menant sur le balcon claqué, mais il restait quelqu'un dans la chambre. Il devina que le conte était parti par un escalier extérieur, mais que la jeune femme restait à l'intérieur. Il attendit un court instant et quand il entendit les pas se rapprocher de lui, il s'engouffra comme un boulet de canon.

Pour récupérer les informations, deux techniques fonctionnaient : la torture et la séduction

-Bonjour les gens- 

Merci d'avoir lu ce chapitre

Le destin d'AnnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant