Mauvaise rencontre

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La nuit commençait à tomber sur la capitale d'Ortus, mais les rues étaient en effervescence. La légèreté des habitants était peut-être due à la paix qui perdurait ou au grand bal qui avait lieu dans le palais royal ? Était-ce parce que cela faisait longtemps que les ortusiens n'avaient rien eu à fêter ? Tous avaient une raison de s'amuser ce soir.

Tous ? Non. Une jeune femme portée dans un beau carrosse d'ébène échappait à l'euphorie générale : elle était dans ce royaume sur ordre de son roi. C'était contre son gré qu'elle était montée dans ce carrosse une semaine plus tôt pour se rendre dans ce royaume anciennement ennemi du sien. Un sourire mutin apparut sur son beau visage, car le roi lui avait ordonné d'aller au palais, mais il n'avait jamais précisé l'heure à laquelle elle devait s'y rendre. Même si sa loyauté était à son pays la simple idée d'être à Ortus la rebutait alors autant retarder au maximum l'échéance.

Elle réclama au cocher de faire un détour par le centre de la ville. Le carrosse bifurqua à gauche dans la grande avenue qui menait à la place principale. Il essaya de se frayer un chemin au milieu des badauds, mais les stands et la foule l'empêchaient d'avancer.

La jeune femme voyant qu'il ne pouvait qu'opérer un demi-tour mit sa longue cape noire et sortit prestement de la voiture la tête sous le capuchon. Albert, le valet, se leva de son siège prêt à la suivre, mais elle lui intima de s'asseoir et de l'attendre plus haut dans l'avenue. Il la regarda se fondre dans la masse puis intima à son collègue de partir.

Le manteau noir détonnait au milieu de la foule aux teintes vert et rouge, car la rue, les stands, et même les habitants portaient les couleurs du royaume. La jeune femme toujours cachée flânait s'arrêtant à chaque stand pour observer les savoirs faire des artisans du royaume. Les vendeurs la dévisageaient avec envie, car la masse de jupes sous son manteau était celle d'une noble, d'une noble à la bourse bien remplie. Malheureusement pour eux, elle s'arrêtait quelques secondes avant de repartir sans avoir déboursé la moindre pièce.

La jeune noble arriva sur une grande place qui avait été aménagée pour l'occasion : un orchestre avait élu domicile sur une estrade dos à la statue de la Lyre, les bars avaient ouvert leur terrasse et les danseurs avaient envahi le centre. Des guirlandes de lampions éclairaient la place où les musiciens jouaient l'air traditionnel d'Ortus que seuls des danseurs aguerris pouvaient suivre jusqu'à la fin.

La jeune femme les observa longuement et s'avança timidement, elle cherchait le bon moment pour rentrer dans le cercle sans briser l'harmonie. La chorégraphie exigeait une coordination entre danseurs, puisque tous les huit temps un changement de partenaire avait lieu.

Elle tendit la main jusqu'à ce qu'une danseuse la prenne et l'entraîne avec elle dans la ronde. Son rire éclatait chaque fois qu'elle tournait ou changeait de partenaire tandis que sa cape se soulevait à chaque saut dévoilant une corolle de jupons blanc. La robe volumineuse l'entravait un peu, mais n'enlevait rien à la grâce et à la vitesse de ses mouvements.

Lorsqu'elle passa d'un jeune homme essoufflé à une vieille femme fringante, son capuchon tomba. Le regard des danseurs les plus proches convergèrent sur le voile bleu nuit qui couvrait ses cheveux. Les habitants de Barbra, ennemis naturels d'Ortus, portaient un voile couvrant leur cheveux. Sa partenaire s'arrêta surprise tandis qu'elle évolua seule sans lui prêter attention.

Heureusement pour la jeune noble, le soleil s'était couché et les lampions n'éclairaient pas assez la place ce qui lui permit de mettre sa capuche sans trop se faire remarquer. Elle récupéra un compagnon et continua de danser comme si rien ne s'était produit.

Essoufflée, elle s'éloigna des danseurs et rentra dans le bar le plus proche. C'était plein, mais elle se fraya un chemin prenant garde de ne pas se faire écraser. Les hommes faisaient bruyamment la fête en buvant tout ce qui leur passait sous la main. Elle enjamba une flaque de vin, s'accouda au bar et demanda à boire d'un accent légèrement rauque. Le vieux tavernier détailla la riche cape et la forme gracile s'y cachant dessous avant de lui répondre avec l'accent si caractéristique des gens du sud :

Le destin d'AnnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant