Quelle robe

23 0 0
                                    

Trois heures.

Cent-quatre-vingts minutes.

Mille-quatre-vingt secondes.

Anna aurait pu les compter. Elle était de nature impétueuse, mais avec le ventre vide elle était exécrable.

Après le tour en carrosse, on les avait fait défiler dans la galerie des miroirs avec sur le dos le manteau blanc bien trop chaud pour ce mois de juin. Le nouveau couple l'avait laissé dans un coffre en verre serti d'or et de diamant dans une pièce secrète adjacente à la salle du trône. Elle pensait qu'ils iraient accueillir les représentants, mais ses demoiselles d'honneur l'avaient ramené à sa chambre pour un changement de tenue. Elle avait été libérée de l'affreux corset et de sa lourde robe pour en enfiler une plus légère.

En voyant la deuxième tenue, sa mère, conservatrice, s'était déchaînée contre le couturier, car la robe sans manche avait un large dos nu et elle moulait son buste avant de tomber simplement.

- Vous êtes fauché, c'est cela ? avait accusé la duchesse.

- Pardon ?

Le couturier avait été surpris par le ton rude de la mère de la mariée.

- Je demande si vous êtes fauché pour mettre si peu de tissus sur ma fille ! La première sans manches et celle-ci sans dos ! Si vous deviez économiser du tissus autant ne faire qu'une robe complète ! s'exaspéra-t-elle.

- Ce type de robe sera la nouvelle norme de sa Cour ! s'était défendu Vionette dans son costume vert pomme.

- Pour l'instant, c'est la robe d'une gardeuse d'oies et non d'une reine ! Rajoutez du tissu !

- Mais je ne peux pas ! Ce sont des diamants !

- Ma Colombe, je t'ai trouvé à manger !

Anna, qui s'observait dans la glace, se tourna vers sa tante qui tenait une assiette sous cloche.

- Quelle robe ! Et ce dos ! Tu es une véritable déesse !

- Vous voyez ! s'exclama le couturier face à la duchesse rouge de colère.

Anna s'était assise devant la coiffeuse et Rachel était arrivée avec une tiare. Son ventre n'avait cessé de gargouiller. Anaïs lui avait fait un clin d'œil et avait soulevé la cloche pour révéler à sa nièce le met qu'elle avait trouvé. Le visage de la jeune femme s'était défait face à l'assiette que lui avait tendue Anaïs.

- Tu n'aimes pas la pastèque ma Colombe ? demanda-t-elle face à sa mine déconfite.

La question innocente avait jeté de l'huile sur le feu.

- Ah ton avis ? avait craché Anna pleine de hargne. J'ai l'air d'aimer bouffer des éponges ?

Pendant ce temps, le reflet de Mei avait montré la demoiselle d'honneur retournant les coussins du sofa pour retrouver les boucles d'oreilles, celui de Rachel qui s'était battu avec une tiare en diamant pour l'harmoniser avec les mèches du chignon défait et Ophélia qui avait entamé une bouteille de blanc redoutant leur retard et par conséquent sa tête sur une pique.

Le chaos avait régné dans la suite jusqu'à ce qu'on vienne les chercher.

Ils arrivèrent tant bien que mal à dix-huit heures pile dans la salle de réception. Mei finit d'accrocher le collier de diamants quand les portes s'ouvrirent.

Comme le premier soir, la foule se tourna vers eux. Un silence de plomb s'abattit sur la salle. Jamais ils n'avaient vu un autant d'anges au même endroit. Derrière Anna, se pressaient sa mère, sa tante et ses deux cousins. Une famille plus proche des Dieux que des Hommes.

Le destin d'AnnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant