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Juin 2015


Une semaine seulement après le départ de Ken de chez mes parents, j'étais de retour à Paris. La raison de mon retour n'était aucunement le rappeur, bien que depuis sept jours je me languissais de le retrouver. J'avais l'impression d'être une adolescente : comme pour mes premiers crushs à la période du collège, je pensais à lui toute la journée et – ayant pour seule compagnie du matin au soir les vaches, Samuel , Benoît, et mes pensées – je m'imaginais toutes sortes de scénarios. Malheureusement pour moi, nous discutions peu par messages ; j'étais très occupée sur la ferme la journée, et Ken avait retrouvé sa vie de rappeur parisien au rythme aussi effréné que pantouflard.

Quelques jours avant la sortie de son premier album solo, j'avais profité de quelques instants moins chargés à la ferme pour revenir à Paris afin de régler quelques soucis administratifs. J'en avais tout autant profité pour passer du temps avec mes amis – je continuais à essayer de me mentir à moi-même en me disant que ça n'était pas surtout pour voir Ken –, et ce fut comme ça que je me retrouvai à passer avec eux un après-midi typique de leur rythme de vie : chez Morgan, j'avais retrouvé Ken et Clément en pleine partie de jeu vidéo. Au milieu de l'appartement embrumé raisonnait une playlist pleine de musiques de rap que je commençais à connaître par cœur malgré moi. Se faisant face sur deux canapés dépareillés récupérés aux objets encombrants, les deux têtes de Ken et de Morgan étaient tournées à presque 180° en direction de l'écran plat : les deux hommes s'en donnaient à cœur joie depuis apparemment au moins deux heures sur Ark, jeu dans lequel ils construisaient depuis des semaines leur civilisation tout en domptant des créatures en tout genre. 

De mon côté, assise à côté de Doums et en face du canapé que Ken et Clément occupaient, je les regardai faire tout en écoutant les nombreuses bêtises qu'ils sortaient. Je répondais parfois à leurs questions ou réagissais à ce qu'ils disaient lorsque je me sentais légitime de prendre la parole. Mais même si j'avais encore des difficultés à me sentir totalement à l'aise en leur présence, le fait qu'ils ne soient que trois m'aidait beaucoup ; et puis il fallait dire que la présence de Clément me rassurait toujours, et que j'avais depuis longtemps ôté la plupart de mes barrières en la présence de Ken.

Pour la cinquième fois depuis que je les avais rejoint – j'étais arrivée depuis à peine quarante-cinq minutes –, Doums était en train de soulever feuilles à rouler, paquets de tabac, flyers, sacoches et autres objets en tout genre sur la table basse :

– Tu cherches encore ton feu ? demanda Clément.

Son meilleur ami acquiesça, les lèvres serrées sur son joint éteint.

– J'suis là mec, blagua distraitement Ken pour la cinquième fois.

Et pour la cinquième fois, je rigolai. Alors qu'il était auparavant très concentré sur l'écran, je vis un faible sourire élargir ses lèvres.

Ken, je l'avais appris dès mes premiers instants partagés avec le groupe d'amis de Maëlle, était l'ami lourd de la bande ; les jeux de mots plus pourris les uns que les autres se bousculaient constamment dans sa tête, et il se prenait très souvent des salves d'insultes de la part de ses amis. J'étais persuadée qu'il ne faisait rire que trois personnes sur Terre : moi, puisque j'étais très bon public ; Maëlle, puisqu'elle était tout aussi lourde que lui ; et lui-même.

Cette fois-ci, nos amis étaient trop défoncés pour réellement insulter Ken, et ce dernier n'eut droit qu'à des soupirs blasés.

Alors que je me levai du canapé pour aller chercher mon tote-bag laissé derrière ce dernier, en face de moi Clément tendit les bras devant lui comme un bébé : ses yeux clairs me fixaient d'un air suppliant et, alors que je faisais mine de continuer mon chemin, il plissa les lèvres à la manière d'un enfant de quatre ans. Je finis donc par fermer brièvement les yeux de lassitude tout en souriant d'un air amusé avant de contourner la table basse, et je pus brièvement apercevoir un sourire satisfait illuminer son visage alors que je me baissais vers lui pour le prendre dans mes bras. Ce dernier ne tarda pas à rassembler les siens autour de moi.

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