Lorsque Ali comprit toute l'étendue de cette première sortie dans un supermarché, le déchirement fut total. Lui qui n'avait jamais que côtoyé une seule personne dans sa vie, sa mère, se retrouvait désormais seul, sans personne sur qui compter.
Il fut placé en foyer de l'enfance très rapidement, puis s'ensuivirent de longues nuits blanches peuplées de cris et de pleurs à en faire saigner les tympans des autres pensionnaires de l'établissement. Durant sa première semaine en tant qu'orphelin, il brisa le cœur de plus d'un éducateur. Ces derniers se relayaient nuit et jour pour essayer de lui faire comprendre que sa mère ne reviendrait pas, et ce malgré ses hurlements déchirants. Les nuits, il fallait parfois plusieurs heures pour l'apaiser, et ce fut finalement la même éducatrice qui le berça toutes les nuits jusqu'à ce qu'Ali s'endorme, épuisé par ses propres cris et ses propres larmes.
Il fallut un long mois pour qu'il comprenne pleinement que sa vie avait changé du tout au tout le jour de ces fameuses courses. Si les cauchemars restèrent, les insomnies cessèrent, ainsi que les hurlements et les crises de larmes. Ali se terra simplement dans un mutisme profond.
Ce fut donc un petit garçon muet que sa première famille d'accueil nourrit et logea. Et ce fut en découvrant cette nouvelle maison, cette nouvelle chambre, ce nouveau foyer, qu'Ali abandonna l'idée d'un jour se sentir à sa place. Du haut de ses quatre ans il comprit que plus jamais il ne connaîtrait le sentiment de sécurité qu'offraient les bras d'une mère, il n'aurait plus jamais cette sensation de stabilité et de calme, il ne pourrait plus jamais se sentir aimé inconditionnellement. Désormais il devrait vivre en voyant l'indifférence dans les yeux des adultes qui l'accueilleraient comme étant l'enfant d'un autre, il aurait toujours cette impression que le sol était constamment friable sous ses pieds, ne demandant qu'à céder pour le laisser faire une chute vertigineuse. Mais il l'accepta. Résigné, il l'accepta.
La terreur ayant laissé place à la tristesse, la tristesse ayant laissé place à l'indifférence, Ali expérimenta ensuite un sentiment qui le suivrait toute sa courte vie : la colère.
Dans cette famille qui, si elle ne le traitait pas comme membre à part entière de leur foyer, ne le négligeait pas non plus et lui offrait tout ce qu'elle pouvait lui offrir, Ali eut ses premiers accès de colères. Criant, cassant, frappant, faisant du mal aux autres et à lui-même, le petit garçon était une bombe ambulante. Une bombe qui, même dans ses jours les plus calmes, se faisait craindre par tout le monde tant elle était imprévisible et pouvait exploser à tout moment. Ce fut lorsque Ali envoya le garçon de la famille se faire recoudre à l'hôpital qu'on décida de le renvoyer en foyer pour enfant. Et encore une fois, Ali comprit et accepta : il était un danger pour sa famille d'accueil, il était normal qu'elle ne veuille plus de lui.
Il passa ensuite de nombreux mois dans cet endroit qu'il vit rapidement comme une colonie de vacances : il n'avait peut-être pas de faux parents pour s'occuper de lui, mais il avait plus de repas par jour qu'il n'en avait avec sa mère, il n'avait pas à craindre de décevoir ceux qui l'accueillaient, et il s'amusait tous les jours avec les enfants qui allaient et venaient tout comme lui. Car, comme un cercle vicieux, le schéma qu'Ali avait expérimenté avec sa première famille d'accueil se répéta à l'infini durant sa première année en tant qu'orphelin : colérique, hyperactif et violent, il était envoyé dans une famille d'accueil, famille qu'il ne tardait pas à effrayer et qui le renvoyait toujours au foyer. Pourtant Ali ne pouvait pas dire qu'il n'avait ni affection ni reconnaissance pour ceux qui l'accueillaient chez eux ; il ne pouvait simplement pas se contrôler, et bien souvent il avait prié pour mourir plutôt que de faire peur à d'autres parents d'accueil.
Les travailleurs sociaux considérèrent vite Ali comme un danger pour les familles qui désiraient accueillir chez eux de jeunes âmes perdues comme la sienne, et il fut décidé que le petit garçon resterait en foyer jusqu'à ce que le pédopsychologue qui le suivait atteste qu'Ali pouvait de nouveau prétendre à une nouvelle famille d'accueil.
Ce fut donc pendant sa deuxième année en tant que vagabond que Xavier apparut dans sa vie. En y repensant, Ali avait des envies de meurtre.
Pendant de longs mois lors de l'année de ses cinq ans, Ali subit. Il subit ce qu'un adulte ne devrait jamais avoir à faire à un enfant, priant tous les soirs de mourir plutôt que de passer un jour de plus entre les mains de cet homme. Puis un soir, se rappelant qu'il était justement là parce que sa mère avait décidé qu'il ne devait pas mourir, Ali décida qu'il allait se battre. Du haut de ses cinq ans, il ne pouvait rien contre un monstre de la carrure de Xavier. Mais il était assez intelligent pour comprendre que ce que l'éducateur faisait était mal... Et que n'importe quel adulte penserait comme lui. Alors il décida un jour de crier, et lorsque l'homme tenta de l'intimider en le sommant de se taire, le cœur battant à tout rompre, la terreur glaçant ses veines, Ali décida qu'il ne serait plus celui qui devrait être intimidé ; désormais, l'autre devrait avoir peur de lui, et pas le contraire. Et ce fut ce qui se passa : l'homme ne revint plus jamais le voir, le menaçant simplement de lui faire du mal s'il osait parler à qui que ce soit. Mais Ali n'avait plus peur qu'on lui fasse du mal, il était convaincu d'avoir vécu tout ce qu'il y avait pu avoir de plus horrible.
Un regain d'espoir suivit ensuite. Ali eut finalement envie de vivre. Ou du moins, de survivre.
S'ouvrant petit à petit au monde, il développa sa propre personnalité ; il passa d'enfant maussade à rieur, de petit garçon triste à boute-en-train, et il s'imagina des tas de scénarios pour justifier son existence sur terre : parfois il était fils de marin, d'autres fois il était prince d'un endroit inconnu de tout le monde.
Ce fut ce nouvel Ali qui accueillit une petite fille aux cheveux blonds un après-midi d'été de 1998. Assise seule sur une balançoire du petit parc réservé aux plus jeunes du foyer, elle pleurait. Bien qu'âgé de seulement six ans, Ali se reconnut immédiatement en elle, et ce fut avec un sourire fendant son visage qu'il se dirigea vers elle. Il se présenta, elle fit de même. Il lui demanda pour quelle raison elle pleurait, elle lui dit que son père lui manquait et qu'elle avait peur que son frère ne respire plus. Ali ne comprit pas pourquoi, mais il fit une blague, et la petite fille rigola.
Pour la première fois de sa vie il fut alors presque immédiatement envahit par une vague de bonheur, et une chaleur intense parcourut tout son organisme en entendant la musique si joyeuse du rire de celle qui allait devenir sa meilleure amie. Ce fut lors de cette première rencontre qu'il se promit de contrôler sa propre vie avec des rires et de la joie. Il était de toute manière persuadé que le pire restait derrière lui.
Et au fond, il n'avait pas tout à fait tort.
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Les Bonus
FanfictionVous trouverez ici tous les bonus de Jim Morrison et It's My Life. Des fins alternatives, des points de vue différents, des morceaux d'histoire de personnages secondaire, etc... Il est conseillé d'avoir lu les deux autres fictions avant de lire les...