BONUS 10 : « Pardon mon gamin, je pensais que t'étais un costaud »

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Il y a un an, je pensais pas être là.

Quand je dis « là », je veux dire partout en fait. Sur Terre quoi.

Jusqu'à l'année dernière, je pensais pas autant avoir peur de la mort. J'étais persuadé de l'avoir accepté comme une fatalité, et je croyais y être préparé.

Quand on vous explique tout petit que vous vous endormirez pour toujours avant les autres, vous avez plus trop tendance à voir la mort comme quelque chose d'étrange et de terrifiant. Vous acceptez le fait qu'elle viendra vous chercher plus tôt que les autres, et au fond, c'est presque réconfortant.

La plupart des personnes ne savent pas comment elles vont partir. Elles ne savent pas combien de temps elles vont vivre, quand elles vont disparaître de la surface de la Terre, ou ce qu'elles vont laisser derrière elles en partant.

Ça n'a jamais été mon cas.

Moi, j'ai toujours su la manière dont j'allais partir. Je savais que ce serait avant d'atteindre la barre des trente ans, probablement asphyxié comme un poisson hors de l'eau. J'étais loin de l'avoir accepté évidemment : qui rêverait de mourir noyé ? Mais je trouvais du réconfort à l'idée que toutes mes actions avaient été pensées en fonction de ma dernière journée.

Parce que vivre au jour le jour, c'était un luxe que j'avais jamais pu me permettre. Pour moi, seules les personnes en bonne santé pouvaient se le permettre. Je voulais simplement être capable de partir sereinement, en me disant que j'avais vécu au maximum et que je laissais aucun regret derrière moi.

Une personne normale, elle, se prendrait une cuite à vingt-deux heures, coucherait avec un ou une inconnue à minuit, irait au travail le lendemain à huit heures avec la gueule de bois, s'embrouillerait avec sa meilleure amie à treize heures et se ferait écraser par une voiture à dix-huit. Cette personne partirait en laissant une meilleure amie pensant qu'elle la détestait. Et ça, ce serait parce qu'il n'y avait jamais eu d'épée de Damoclès au-dessus de sa tête.

Voilà pourquoi j'avais toujours vécu ma vie en faisant tout mon possible pour ne laisser aucun inachevé derrière moi. Parce que depuis tout petit, j'attendais juste que la lame de cette putain d'épée vienne me transperser le crâne. Éviter de quitter les gens fâchés était un des nombreux tics que j'avais adopté.

L'avantage que j'avais, c'était que l'épée s'abattrait pas sans prévenir : ma santé se dégraderait, je pourrais de moins en moins respirer, je tousserais de plus en plus, mon système digestif m'abandonnerait petit à petit, je serai alité, je souffrirais le martyr, puis je pourrais partir. Et bien que l'idée de souffrir ne soit pas des plus réjouissantes, au moins j'aurais le temps de remettre de l'ordre dans mes affaires.

Ça, c'était ce que je pensais avant l'été dernier. Parce que même si j'étais en froid avec personne, le goût d'inachevé était bel et bien là.

Je refusais de laisser ma fiancée seule, je refusais de ne jamais la voir s'avancer vers moi à la mairie, je refusais de ne pas la voir dans ses multiples robes le jour de notre mariage. Je refusais aussi de laisser Hakim et Idriss, mes frères de Paris, continuer à faire des dingueries sans moi. Je refusais de ne pas voir grandir Elyas, le petit garçon de Tarek. De manière générale, je refusais de ne plus faire partie de la vie de mes deux frères de Dijon, sachant qu'on avait passé la majorité de notre vie ensemble. Je refusais que mon père ait à perdre son fils comme mes grands-parents avaient perdu leur fils et leur fille avant lui, je refusais de le briser encore plus qu'il ne l'était déjà par la mort de ma mère. Et puis surtout, je refusais de laisser Maëlle. Ça, c'était juste hors de question. Je savais qu'elle en mourrait, je me rappelais que trop bien d'à quel point j'avais eu envie de crever quand j'avais cru qu'elle se réveillerait jamais de son coma.

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