Ali Camara était né aux alentours du mois de mars 1991. Personne ne savait d'ailleurs réellement si son nom de famille était réellement Camara. Il pouvait aussi bien être né en France qu'à l'étranger, tout ce que les services sociaux savaient étant qu'il était présent en France l'année de ses quatre ans.
Ali avait très peu de souvenir de ses parents biologiques. Il se souvenait vaguement d'un père ayant quitté le navire très tôt. Il ne se rappelait pas du père en question, mais seulement de ce que sa mère lui avait expliqué. Elle aurait tout aussi bien pu mentir pour autant qu'il en savait. De simples paroles peuvent créer des souvenirs inattendus chez un enfant aussi jeune.
Ce dont il se souvenait, par contre, c'était du froid intense et des canicules. Il n'avait que très peu de souvenirs de sa mère et lui à l'abris de la météo, et estimait qu'il avait dû vivre dans la rue la majorité des quatre premières années de sa vie.
De cette femme, quant à elle, il avait quelques vagues images encore présentes dans sa tête : une dame à la corpulence assez forte, au sourire trop peu présent, et à la voix chaleureuse mais autoritaire. Il parvenait parfois à se rappeler la chaleur de ses bras, endroit où il avait probablement passé la majeure partie de son temps.
Il se rappelait en revanche parfaitement bien de ce à quoi elle ressemblait le jour où elle avait décidé qu'elle ne voulait plus de lui ; une longue tunique jaune et un foulard bleu aux motifs rosés sur la tête, elle portait sur son épaule le vieux sac de sport qu'elle trimbalait partout avec eux. Ali se souvenait parfaitement bien de ce jour puisque sa mère lui avait annoncé qu'ils allaient faire des courses : le petit garçon attendait toujours ces journées comme un enfant devrait attendre le jour de Noël. « Courses » étaient synonyme d'abris pendant quelques minutes et, avec un peu de chance, de repas chaud.
Mais pour la première fois Ali et sa mère n'eurent pas à faire la queue sur le trottoir pour pouvoir entrer dans le petit bâtiment délabré. Ils ne retrouvèrent pas les quelques femmes leur distribuant chaleureusement un petit sac plastique qui, si rien ne leur arrivait pendant la semaine, devrait leur tenir jusqu'aux prochaines courses. Non, cette fois-ci Ali découvrit un tout autre genre de magasin : des portes s'écartèrent à leur passage sans qu'aucun d'eux n'aient à toucher quoi que ce soit ; de nombreuses lumières l'aveuglèrent, et lorsque ses yeux purent s'habituer à cette nouvelle clarté, il découvrit avec ébahissement une vingtaine de rayons d'étagères devant lui. Ali venait de mettre les pieds dans une nouvelle réalité.
Sa mère et lui passèrent à côté de multiples « bip » retentissant auprès de femmes assises devant de longues tables près de l'entrée du magasin, puis il fut déposé au milieu d'immenses murs de gâteaux et de confiseries. Le ventre d'Ali se mit instantanément à gargouiller.
Reportant son regard sur le visage de sa mère, Ali leva la tête pour lui découvrir un sourire. Il n'avait pas vu sa mère sourire depuis des mois, et Ali se souvenait s'être fait la réflexion qu'il aurait préféré ne pas la voir sourire du tout si c'était pour être témoin de cet air triste que son visage tiré de fatigue arborait. Puis elle le serra longtemps dans ses bras, et même si Ali trouva ce geste étrange, il ne s'en formalisa pas puisque sa journée entière avait paru étrange. Elle lui proposa ensuite de choisir des bonbons, Ali lui tourna le dos pour lorgner sur les nombreux paquets colorés en face de lui, et il ne fallut que quelques secondes pour que sa mère disparaisse.
Pensant qu'elle était allée chercher autre chose, Ali ne bougea pas, l'attendant sagement où elle l'avait laissé. C'était aussi ce qu'elle lui avait enseigné : s'ils se perdaient de vu, Ali devait attendre au dernier endroit où ils s'étaient vus.
Mais sa mère ne revint pas.
Il la chercha partout, arpentant une vingtaine de fois chaque rayon du magasin, la panique le gagnant petit à petit, jusqu'à ce qu'il s'effondre en larmes sur le carrelage froid d'un rayon de surgelés.
Un employé le trouva puis l'emmena aux caisses. Une annonce fut passée. Sa mère ne se montra jamais. Les services sociaux ne purent jamais la retrouver.
« Comment s'appelle ta Maman, Ali ? fut une des premières questions qu'on lui posa.
– Maman.
Les travailleurs sociaux se regardèrent avec un air grave avant de lui poser une nouvelle question :
– Tu habites où avec elle ?
– À la gare.
– Tu peux nous montrer où c'est ? »
Ali acquiesça. Il les guida. Il leur montra. Et quelle ne fut pas leur surprise lorsque le petit garçon leur désigna la rue étroite dans laquelle sa mère et lui avaient élu domicile il y avait de ça quelques mois.
Cette première rencontre avec les services sociaux marqua le début de sa vie de vagabond. Traîné de foyer en famille d'accueil, changé d'école plus de fois qu'il ne parvenait à s'en souvenir, n'appartenant à aucun milieu, à aucune famille, et cherchant sans arrêt sa place dans le monde.
Ali avait conscience que l'abandon de sa mère était en quelque sorte une question de vie ou de mort : ou bien ils vivaient chacun de leur côté, ou bien ils mouraient à deux dans la rue. Parfois, Ali aimait à penser que la deuxième solution aurait été la meilleure.
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Les Bonus
FanfictionVous trouverez ici tous les bonus de Jim Morrison et It's My Life. Des fins alternatives, des points de vue différents, des morceaux d'histoire de personnages secondaire, etc... Il est conseillé d'avoir lu les deux autres fictions avant de lire les...