Chapitre 𝟲𝟯 - Hotepamon

57 9 3
                                    

Ses sanglots s'enchaînèrent. Il avait à peine le temps de reprendre sa respiration. Quand du bruit se fit entendre à l'extérieur de la pièce, il réussit à calmer son souffle. Le tombeau allait être scellé. Il n'allait plus avoir aucun moyen de sortir de là. Était-il certain de souhaiter finir comme ça ? Il posa les yeux sur la pierre funéraire et la caressa du bout des doigts. Oui. Il voulait rester avec lui.

Aapep savait qu'ils ne se retrouveraient jamais dans le monde des morts. Même s'il arrivait à atteindre Osiris, le dieu ne se donnerait pas la peine de juger son âme, et sans embaumement, sans son corps, jamais il ne pourrait renaître dans l'Au-delà ; il errerait pour l'éternité. Les dernières heures qu'il pouvait passer avec lui, c'était maintenant.

Il entendit des voix, puis aperçut l'ombre de plusieurs personnes sur les murs. Il se cacha et écouta les ouvriers s'affairer à poser les briques les unes sur les autres entre quelques couches d'enduit.

Quand les bruits furent calfeutrés, il risqua un regard vers la porte. Ça y est, il était enfermé.

Les hommes étaient encore dans le tombeau. Qu'ils travaillent, fassent tomber des objets ou volent certains d'entre eux... Il s'en fichait. Il reprit sa place contre la pierre et ferma les yeux alors que des larmes coulaient de nouveau sur son visage.

— Tu avais dit que tu m'aimerais... que tu m'épouserais... que tu me ferais un fils ou que tu me laisserais t'en faire un... que tu rétablirais Amon et changerais de nom pour moi... Tu m'avais dit que tu m'emmènerais voir la mer... Tu n'as rien fait de tout ça. Tu n'as pas tenu tes promesses. Tu n'avais pas le droit de t'en aller en m'abandonnant là... Sais-tu combien de temps je t'ai attendu ? J'ai... J'ai cru que j'allais devenir fou.

Il se recroquevilla et pleura, la tête enfouie dans ses genoux. Il avait tout perdu en le perdant lui. Il avait tellement de regrets que leur poids l'étouffait. Il aurait dû l'embrasser dans le lac au lieu de se questionner sur ce qu'il se passait. Il aurait dû le laisser couvrir sa peau de baisers et se retourner vers lui dans son lit, au lieu de le repousser en lui demandant ce qu'il faisait. Il aurait dû lui dire qu'il l'aimait aussi et le retenir après sa déclaration. Ils auraient dû s'enfuir tous les deux, ou rentrer à Akhetaton ensemble, il n'aurait pas dû le laisser partir seul. Depuis qu'il avait commencé à douter et à se poser des questions, il aurait dû agir. Ils auraient pu vivre main dans la main pendant de longues années, ils auraient pu être tellement heureux... Ils se seraient aimés plus que n'importe qui.

— On aurait parcouru le monde..., souffla Aapep. La mer n'aurait pas suffi, j'en suis certain. Je me connais, j'aurais voulu voir ce qu'il y avait de l'autre côté. On aurait pu aller jusqu'au bout du monde, on aurait pu en faire le tour en partant vers le nord et en revenant par le sud, avant de l'arpenter d'est en ouest... On aurait pu visiter tous les pays, rencontrer tous les peuples... On aurait dû travailler pour avoir de quoi vivre, mais on aurait pu y arriver. Et puis, au fil du temps, on aurait peut-être eu des bouches à nourrir en plus si tu m'avais fait un fils, ou deux, ou trois...

Il sourit à travers ses larmes.

— S'ils avaient eu ton caractère, cela aurait été compliqué... mais je les aurais aimés autant que toi... On aurait pu être tellement heureux... alors... Alors pourquoi m'as-tu laissé seul ?

Ses lèvres tremblèrent de nouveau et il réprima un sanglot.

Après une bonne minute, son regard fut attiré par ses affaires qui gisaient au sol. Il posa sa gourde et les fruits près du sarcophage, puis se saisit des deux rouleaux, de son poignard et de sa petite lettre. Il mit cette dernière et la lame sur la cuve, puis chercha un endroit où ranger les papyrus, avant de se raviser. Il se rassit et les cala sur ses cuisses.

ʟ'ᴀᴜʀᴏʀᴇ ᴅ'ᴀᴘᴏᴘʜɪꜱOù les histoires vivent. Découvrez maintenant