Chapitre 𝟲𝟬 - Le 70ᵉ jour

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Aapep se redressa. Le drap dans lequel il était enroulé depuis soixante-dix jours et qui ne le quittait plus, glissa sur ses coudes. Il savait qu'il n'arriverait plus à dormir sans lui, et qu'il mourrait probablement de froid dans la nuit si on le lui retirait. Il s'assit en tailleur, remonta l'étoffe autour de ses épaules et ferma les yeux. L'air parfumé du printemps réveillait ses sens. Il se mit à sourire. C'était aujourd'hui.

Son cœur se gonfla. Il replia proprement le drap de lin, et se purifia avant de passer sa tunique d'un blanc immaculé pour aller effectuer le service du matin auprès de son dieu.

Il se sentait toujours responsable de la mort d'Hotepaton. Quoi qu'il ait fait avant de disparaître, il l'avait fait pour lui. Ce qui était arrivé était de sa faute. Peut-être aurait-il dû prier Horus plutôt qu'Amon pour qu'il le protège. Après tout, Amon était puissant, mais ce n'était pas son rôle.

Après avoir fait un pacte avec le nouveau prince héritier, Aapep avait quitté le palais royal d'Akhetaton au lever du soleil. Il était reparti pour Ouaset au rythme des supplications des pleureuses, tandis que les prêtres embaumeurs emportaient le corps de l'homme qu'il aimait.

Son épuisement et son cœur en miettes avaient rallongé son chemin, et de retour dans son temple, il s'était écroulé. Il avait pleuré, hurlé, maudit, et le lendemain, il s'était repris. Il avait été au bord du Nil et s'était laissé couler dans l'eau scintillante. Il avait tellement de regrets qu'il aurait pu rester au fond du lit du fleuve ; leur poids était si lourd à porter. En remontant, il avait fermé les yeux et avait offert sa peau à la chaleur d'Aton. Lui qui détestait ce dieu si lumineux, si chaud, il l'adorait désormais. Il avait l'impression d'être dans les bras de son fils. Alors il avait repris son service auprès d'Amon, priant sans relâche et se privant même de nourriture pour expier ses fautes.

Un peu plus de deux mois était passé, et il était enfin en paix. Le jour était venu.


Aapep s'inclina une dernière fois devant la statue d'Amon en l'implorant de lui pardonner ce qu'il s'apprêtait à faire, puis il se redressa et quitta le naos. Il ferma la porte pour le protéger, et rejoignit sa maison. Il s'y changea, puis se saisit de sa précieuse boîte de bois où étaient rangés ses calames et ses poudres. Il contempla le morceau de roseau avec émotion avant de s'emparer de son petit encrier où il dilua du noir de fumée dans un peu d'eau.

Lorsque le mélange fut prêt, il prit une feuille de papyrus qu'il déposa devant lui. Il trempa son instrument dans l'encrier et commença à écrire. Un sourire mutin aux lèvres, il traça le dernier mot, puis eut soudain une autre idée. Il saisit un second papyrus et leva son calame. Il hésita quelques secondes, et quand il aperçut les précieux rouleaux rangés dans le coin de la pièce, il se remit à écrire.

Une fois qu'il eut terminé, il laissa les documents sécher et s'empara d'un sac de lin où il plaça un peu d'or et quelques fruits. Ensuite, il y glissa l'une de ses lettres, puis il déposa l'autre en évidence sur son lit. Ses yeux tombèrent sur le drap dont l'odeur apaisante éloignait ses cauchemars. Il s'en saisit également. Il récupéra son poignard qui était caché sous la paille de sa couche et l'ajouta à son paquetage. Pour terminer, il remplit une gourde d'eau, et attrapa deux des rouleaux de papyrus présents dans le coin de sa chambre. Il ne savait pas si le petit Toutânkhaton avait eu connaissance de ce qui était écrit là-dedans avant de lui en faire cadeau. Quelques-uns renfermaient des prières, d'autres des leçons, et il y avait eu ces deux-là, où des symboles inconnus étaient dessinés, et qui racontaient son histoire. Leur histoire.

Aapep avait fondu en larmes en découvrant cela. Et comme Hotepaton n'avait pas pu terminer de rédiger, il s'en était chargé. Ainsi, lorsqu'il renaîtrait, il les trouverait et il pourrait savoir ce qu'il avait fait depuis sa disparition ; combien il avait pensé à lui ; combien il avait pleuré ; et combien il l'avait aimé. Cependant, le fils d'Amon n'avait pu se résoudre à ne pas s'adresser directement à son ami, et c'était pour cela qu'il venait d'écrire une lettre qui lui était destinée.

ʟ'ᴀᴜʀᴏʀᴇ ᴅ'ᴀᴘᴏᴘʜɪꜱOù les histoires vivent. Découvrez maintenant