Chapitre 1

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Chapitre 1 

3 janvier 2019


Il ouvrit ses yeux. Ses yeux verts. Flamboyants, pigmentés de tâches dorées. Irrésistibles. Un néant de pensées, une porte vers l'âme. Son âme.

Combien de temps avait-il dormi ? Aucune idée, mais le soleil commençait à se coucher derrière la fenêtre. Il se tourna sur le dos, la structure du lit superposé grinça. Il attrapa son téléphone et soupira en découvrant l'heure : 19h36. Personne ne l'avait encore appelé pour aider à mettre la table. Il étira les bras jusqu'à poser ses paumes au plafond. Il le faisait à chacun de ses réveils depuis petit. Chaque année, ses doigts se rapprochaient de plus en plus du plafond, et il avait adoré ça. Maintenant, plus aucun effort n'était requis pour qu'elles y soient à plat.

Il lui était très rare de faire des siestes. C'était même quasiment inexistant. Avant. Mais ces derniers temps, il en avait fait énormément. Il avait beaucoup, beaucoup, beaucoup dormi. Et pour la première fois depuis un certain temps, il avait fait un rêve. Il n'avait pas rêvé par images, non... mais par sensations, de grandeur, d'adrénaline, de vertige, et de vie. Puis, il s'était réveillé sur ce goût d'inachevé, ce goût de détresse qui faisait partie de lui. Ce goût de vivre bien vite balayé par la réalité de sa vie. Le garçon ressentit une pointe lancinante dans ses entrailles, réalisant pour une dernière fois depuis le début de son existence que, cette fois, on y était. Et fixant de ses yeux verts aux touches dorées le plafond blanc de sa chambre, il murmura : « C'est peut-être le jour de revivre. »

Soudainement, il se pencha vers l'étage inférieur du lit. Son petit frère n'y était pas, heureusement. Aucun témoin n'avait entendu sa toute dernière affirmation. Seul son immense poster de Michael Jackson, en face, l'avait entendu. D'ailleurs, s'il devait se référer à une quelconque réaction de l'affiche en papier glacé, il était certain que l'artiste lui répondrait : « Bien sûr qu'il est temps de revivre... À quoi bon regarder ta vie passer en lui faisant signe de la main en guise d'adieu ? » Cette affiche aurait raison, si elle lui avait répondu.

Il descendit les quelques barreaux de ferraille de son lit et sauta sur le sol froid. Un sweat-shirt était posé sur le dossier de sa chaise de bureau, il l'enfila. Le vêtement sentait la lessive. Sa mère, à coup sûr était entrée dans sa chambre pendant qu'il dormait pour l'y déposer.

Il passa au rez-de-chaussée. Son petit frère de dix ans jouait à la console, un casque sur les oreilles. Il ne captait rien à rien de la vie extérieure. C'était normal, à cet âge-là.
Le père de famille rentrait tout juste du travail et posait son manteau sur le crochet. Il salua son fils en l'embrassant sur le front, puis lui demanda comment s'était passée sa journée. Le jeune homme se contenta de répondre que cette journée était différente, mais son père était déjà parti. Il ne lui en voulut pas, car il fallait toujours quelques minutes à son père pour décrocher du travail même une fois arrivé à la maison.

La cuisine était son endroit préféré et comme il s'en doutait, sa mère, tablier autour de la taille et cuillère en bois à la main faisait encore marcher de sa magie pour régaler. Elle était passionnée de cuisine depuis la naissance des Hommes. Il s'approcha d'elle et s'assit sur le plan de travail malgré l'aversion de celle-ci pour ce type de comportement. Il le faisait uniquement pour l'embêter :

« Tu as besoin de quelque chose, maman ? »

Elle le regarda avec la tendresse d'une mère aimante.

« Que tu enlèves tes fesses de ce plan de travail, mon coeur. »

Il lui obéit sans râler et s'assit sur un tabouret non loin d'elle. La regardant avec des yeux d'enfant déjà adulte. Sa mère était une force tranquille, la regarder suffisait à s'apaiser un tant soit peu.

Le jeune homme s'apprêta tout juste à élever la voix lorsque son père entra à son tour dans la cuisine. Il embrassa sa femme. Le jeune homme referma alors la bouche et tourna huit fois sa langue à l'intérieur, pensif. Lorsque le paternel quitta la cuisine avec une tasse de thé à la main, le garçon pinça les lèvres et osa :

« Maman..., à quel point un parent aime son enfant ? »

Sans se retourner, elle répondit :

« Un parent aime son enfant au point d'en mourir Siloé. C'est le sommet de l'amour, on n'aime personne de la même façon qu'on aime son enfant.

- J'ai aucune peine à te croire... Sauf pour certains... certains qui n'ont plus de parents, d'autres qui n'ont plus d'enfants. Et je ne parle pas d'une séparation par la mort, contre laquelle on ne peut rien.

- Il y a des millions de personnes sur cette terre, et des millions de façons de s'aimer. L'amour a tout et rien de rationnel Siloé. Certains parents finissent par regretter le fait de ne pas avoir pu serrer leur enfant dans leurs bras au moment où ils le pouvaient. Certains enfants finissent de même, par regretter de ne pas avoir compris leurs parents plus tôt. Une multitude de personnes, une multitude de situations. Tout tourne quand même autour de cet amour. Il nous rapproche, ou il nous dépasse. Cela dépend des gens. »

Le jeune homme tourna à nouveau huit fois sa langue dans sa bouche et leva les yeux sur le lampadaire.

« Ça me fait peur.

- Pourquoi ? Demanda-t-elle en continuant de cuisiner.

- Parce qu'un jour je vais quitter la maison pour essayer de construire ma vie, et... je ne veux pas que vous soyez triste papa et toi. Je ne veux pas que cela remette en question notre lien, que quelque chose se défasse, que vous pensiez que je vous abandonne. Parce que je ne vous abandonne pas. Je vous aime excessivement fort et je ne veux pas qu'un départ change votre perception de ceci. »

La mère attrapa une poignée de carottes et coupa doucement des petits cubes. Le bruit du couteau tapant contre la planche à découper raisonna dans la pièce.

« J'ai confiance en toi. Tu es un grand garçon maintenant tu as dix-huit ans. Ne te préoccupe pas de tes vieux parents, voir son enfant prendre son envol et devenir ce qu'il veut est merveilleux. Cela veut dire qu'il est prêt à entamer la vie et en tant que parent il n'y a rien de plus rassurant, je t'assure. Ton père dirait la même chose. On ne cessera jamais de croire en toi, peu importe ce que tu fais de ta vie. L'amour a tout, et rien à voir là-dedans, encore une fois.»

L'amour. L'amour. L'amour. L'amour. Qui a tout, et rien à voir là-dedans. Oui. Mais qui dominait sa vie à lui, Siloé. Depuis tellement longtemps.

Le garçon se leva de son tabouret et enlaça sa mère par derrière, en posant son front contre son épaule. Elle coupait maintenant un oignon et pleurait, ce qui le fit sourire. Son petit frère entra dans la cuisine à son tour et jeta un oeil à l'intérieur de la marmite. La discussion était terminée, à présent.

Ce que lui avait dit sa mère, Siloé en avait eu besoin pour s'assurer que oui, aujourd'hui était bien le jour. Qu'il ne se trompait pas. Il lui chuchota qu'il l'aimait à l'oreille et sortie de la pièce sans plus la regarder.

Du vide et du vent (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant