Chapitre 11

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La vie américaine était radicalement différente de la vie française que Siloé avait menée jusqu'ici. Déjà de manière générale, rien n'était équivalent. Mais de plus, Siloé vivait pour la première fois une vie autonome. Lui qui n'avait jamais quitté le giron de ses parents, se retrouvait à devoir prendre soin d'une chambre d'hôtel, subvenir à sa sécurité, ses propres besoins alimentaires et tout le reste sans aucune aide financière. Ses économies y passeraient toutes.

Se trouver dans un pays étranger du jour au lendemain, sans personne, traduisait le fait de devoir se débrouiller par soi-même et par la même occasion, activer le mode confiance en soi. Un énorme travail dont il n'était pas certain de voir le bout un jour. Mais cela faisait cinq jours que Siloé foulait les rues de New York et il était toujours vivant, entier, et ne s'était pas encore écroulé. Plus que jamais même, il avait ressenti  de l'envie. Ici, personne ne le connaissait. Il n'y avait plus besoin pour lui de regarder à gauche à droite si son ex n'était pas sur l'autre trottoir. C'était arrivé une fois, dans Paris. Félix ne l'avait pas remarqué mais lui, avait beaucoup pleuré une fois rentré à la maison.

Ces premiers jours s'apparentaient à une vie de rêve. Il avait voulu se la jouer à l'Américaine, se lever tôt le matin pour aller chercher le petit-déj au coin de la rue et le manger où bon lui semblait. La vie se résuma à découvrir de ses propres yeux ce que tout le monde avait vu à la télé, dans les films. Siloé apprit à découvrir qu'il avait horreur de Time Square mais que s'engouffrer des cookies à moitié cuits de chez Levain Bakery, posé sur un banc de Central Park, était le meilleur programme matinal qu'il connaisse. Il apprit que les avenues étaient inlassablement longues lorsqu'on les foule à pied et qu'assister à une arrestation en pleine rue était un événement ordinaire.

Siloé s'était pas mal baladé durant ces cinq jours. Plus que ça, il avait beaucoup observé. Le garçon n'avait presque jamais voyagé de sa vie et découvrit un plaisir immense à se faire sa propre idée des lieux dans lesquels il passait. Désormais, plus que de voir New York sur les images, il savait quelle odeur avait Central Park, quel effet les vibrations vocales des américains avait sur lui, combien de fois pouvait-on entendre la sirène des camions de pompiers en une minute. Il n'était presque plus étonné de découvrir des bus scolaires jaunes.

Siloé se trouvait là, en ce moment au centre du campus de la Columbia University. Il s'imprégnait de cette place qu'il avait tant souhaité connaître il y a quelques temps. Les étudiants y grouillaient sans cesse et il les envia. Lui, il n'avait rien à faire, planté là. Tous ceux qu'il croisait avec des sacs à dos ou même leurs cours à la main se rendaient quelques pars en classe ou bien en sortaient. Il aurait pu avoir cette vie lui aussi mais par amour, n'en avait pas saisie l'opportunité.

Son ventre grogna, le soleil approchait le zénith et il était temps qu'il se ravitaille. Le garçon jeta un dernier regard sur Columbia, se disant qu'il y était juste passé pour faire le deuil d'une petite partie de son passé et qu'il n'y retournerait pas. Au revoir Columbia, ravi d'être passé te voir, c'était un court plaisir.

Siloé mis les mains dans les poches de sa veste et baissa les yeux. Malgré ses attentions toujours strictes, le jeune garçon ne regarda pas devant lui au moment de faire son demi-tour et se prit de plein fouet un corps. Il sortit les mains de ses poches par réflexe, tout le contenu de l'une d'elle s'échoua au sol pathétiquement. Deux mains agrippèrent le haut de ses bras fermement pour lui éviter une chute évidente :

« Oh God, are you okay ? Oh... euh... est-ce que tout va bien ? »

Siloé remonta alors son regard, encore sonné, le torse endoloris. Il se trouva nez à nez avec l'homme, le reconnut. Un rire noir lui échappa et il secoua la tête. Cette fois seulement, l'homme de devant ne portait pas d'uniforme d'homme d'entretien hôtelier et ne revêtissait pas son badge d'identité :

« Vous... Paul c'est bien ça ?

- Oui, moi. Paul. Répondit-il, autant surpris de cette rencontre.

- Allez... Bonne journée Paul. »

Siloé s'apprêta à partir sur-le-champ, très peu envieux de discuter avec lui. Après tout, il ne le connaissait pas et se sentait encore vexé de leur première rencontre :

« Attendez ! vous avez fait tomber vos affaires au sol. »

Paul se baissa pour ramasser les quelques affaires. Une paire de clés et la carte d'identité de Siloé traînaient par terre dans une flaque boueuse. L'homme s'en empara et essuya la carte sur les pans de son jean serré. Siloé se posta à ses côtés et le laissa faire, gêné.

Soudainement, Paul écarquilla ses grands yeux marrons et releva le visage vers le garçon :

« Tu t'appelles Siloé Evrard ? Demanda-t-il d'une voix particulière.

- C'est mon prénom. Je peux récupérer ma carte ? Répondit Siloé en tendant sa main.

- C'est toi le seul type de mon programme d'étude qui a refusé de venir à New York ? Siloé Evrard ? »

Cette fois, ce fut au tour de Siloé d'aborder de grands yeux surpris. La bouche entrouverte, main toujours tendue vers Paul pour prendre sa carte, il ne bougea plus. Ni oui, ni non. Son regard révéla la réponse à lui seul.

« Comment un mec qui ne sait pas mettre à l'endroit une carte d'accès dans un boîtier a pu être sélectionné pour accéder à un programme d'étude d'ingénieur à New York, parmi 13 000 candidats ? »

Siloé se sortit de sa léthargie immédiatement, malgré une crispation immédiate de son corps. Le ciel lui tombait sur la tête.

« T'es pas censé être en train de réparer les chiottes d'une chambre d'hôtel ? ... Tu voudrais que j'te réponde quoi ? Répliqua-t-il sur le coup de la surprise, encore plus vexé qu'avant.

- Rien. Rien du tout. La seule question à laquelle du dois me répondre est la suivante : Comment un mec qui a été assez bon pour être sélectionné pour accéder à un programme d'étude parmi 13 000 candidats et seulement 11 places, sur concours à épreuves multiples et dossier d'entrée, a fait pour manquer l'appel du premier jour et finalement ne jamais venir ?

- J'avais mes raisons.

- Quelque soient ces raisons elles n'étaient pas assez bonnes. Tu as réussi l'un des concours les plus sélectifs du monde.

- Je suis là maintenant.

- C'est trop tard mec..., un autre gars a pris l'avion depuis. »

Siloé s'autorisa un regard rempli de méchanceté. Il le savait oui. Bien sûr qu'il avait loupé la chance de sa carrière d'ingénieur en refusant de monter dans l'avion. Il avait planché des heures sur le travail de ce concours, avait l'appui et la fierté de sa famille entière, même et plus que tout de Félix. Il avait passé toutes les épreuves une par une en pensant n'avoir aucune chance d'y arriver.

C'était juste pour essayer.

Juste parce que c'était son plus grand rêve d'y accéder.

Lorsque les résultats étaient arrivés dans sa boîte aux lettres et qu'il était écrit noir sur blanc qu'il avait réussi avec succès les 1% de chance de réussite, il avait failli s'évanouir. Puis comme un homme amoureux sachant très bien que Félix ne pourrait pas le suivre, il avait déchiré le résultat et avait annoncé à tout le monde que... C'est mort, j'ai pas été pris. Félix l'avait quitté moins de deux mois après.

« Je n'ai aucun regret de ne pas être venu. »

Du vide et du vent (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant