L'hôtel dans lequel séjournait tout ce petit monde était grand. Mais les probabilités pour que Félix et Siloé se croisent, étaient encore plus énormes. C'est pour cela que pour Paul, le fait que la rencontre inattendue n'ait toujours pas eu lieu relevait du miracle. En tant qu'étudiant, Paul était en vacances depuis le début de la semaine. Mais en tant qu'employé d'hôtel, il était surchargé et travaillait toute la journée sur les lieux. Aujourd'hui, il remplaçait un collège malade à l'accueil. C'était un poste de réception qu'il n'avait pas l'habitude d'incarner mais il savait faire et passait donc sa journée dans le hall.Lorsque Félix Armandie s'échappa de l'ascenseur, le téléphone collé à l'oreille et sortit de l'immeuble pour aller sur le trottoir, il n'en décrocha ni son regard, ni ses pensées. Pour la première fois, il observa l'homme sans menacer de passer pour un fou ou un pervers. Ce n'était que de la curiosité. Il l'avait, certes, aperçu le jour de son arrivé, avait été frappé par le style d'homme qu'il était mais à cet instant, il détailla tout ce qu'il put : son allure, son comportement, son style vestimentaire, ses gestes. Il comprit ce qui avait plut physiquement à son ami Siloé. Ce mélange de délicatesse, de puissance et de nonchalance qui accrochait les yeux.
Le pensionnaire de l'hôtel parlait au téléphone depuis une dizaine de minutes, il faisait des aller-retours sur le trottoir, devant l'entrée, et parlait avec ses mains. Son visage était pâle, et ses yeux très cernés. Il n'avait pas l'air d'avoir dormi beaucoup ces derniers jours. Cela provoqua de la peine chez Paul, qui, le cul entre deux chaises, voyait tour à tour les deux hommes se bercer de peine et de cauchemars pour se noyer dans une certaine tristesse.
Paul continua de l'observer discrètement, derrière le bureau. Une idée lui émergea en tête.
Siloé n'était pas présent à l'hôtel, cet après-midi. Il était parti en ville pour chercher un travail qui pourrait lui permettre de continuer à vivre ici le temps qu'il ait les papiers nécessaires pour louer un appartement. S'il avait profité de la ville les deux premiers mois de sa fuite sur le compte d'un héritage, les économies qui lui avaient permis d'assumer ça jusqu'alors commençaient à diminuer considérablement.
C'est donc la voie libre et l'esprit un peu plus tranquille que Paul quitta la réception pour sortir sur le parvis de l'hôtel. Il vérifia une dernière fois qu'aucun client n'était sur le point de débarquer. Au quel cas, il retournerait travailler comme un bon employé, mais pour l'heure, il s'assit sur la première marche de l'escalier et se mit face au soleil. Félix raccrocha le téléphone à ce moment-là et s'appuya sur le bord d'une fenêtre, à deux mètres à peine de lui. Le garçon plongea ses yeux dans le vide, pensif.
Paul sortit un paquet de cigarettes de sa poche, en sortit un petit tube blanc et un briquet bleu ciel. Il le tourna entre ses doigts un instant, puis tourna les yeux vers Félix. Son inconscient attiré par le regard de Paul comme un aimant, Félix se joint à cet échange de regard, et les deux hommes se dévisagèrent. Pas de manière méchante, pas de manière sale, juste comme s'ils se connaissaient mais ne s'étaient pas vus depuis longtemps. Paul tendit son bras, le paquet de cigarettes au bout des doigts.
« Vous en voulez une ? proposa-t-il en français, l'ouverture du paquet tournée vers Félix.
- Non, merci. Je ne fume plus. »
Paul reporta ses yeux sur le sol et rangea son paquet. Il hocha la tête.
« Il y a très peu de gens qui fument à New York. On en voit très peu dans les rues. S'ils fument, c'est chez eux en général et de toute façon, les fumeurs sont vraiment bien moins nombreux qu'en France. »
Paul ne savait même pas pourquoi il lui disait tout ceci. Certainement pour éviter qu'un affreux blanc ne vienne secouer ce qu'il aimerait dire à ce garçon.
« Je suis français moi aussi. Je suis ici pour mes études, et je travaille dans l'hôtel depuis quelques mois. Ça paye pas trop, mais assez pour que je puisse vivre correctement. J'ai eu énormément de chance. Ça ne s'offre pas à tout le monde. N'est-ce pas ? »
Félix continua de le dévisager, comme une bête curieuse. Un type venait juste de sortir de on ne sais où, et lui parlait dans sa langue natale comme s'il lui donnait les nouvelles de la semaine. Comme deux amis.
« Cela fait environ un an que j'habite dans Manhattan. Huit mois que je travaille dans l'hôtel. Du monde, j'en ai vu passé. J'ai beaucoup de visages en tête. Je n'ai pas la possibilité intellectuelle de me souvenir de tous, mais... il y a des gens qui marquent plus que d'autres. Avoua Paul.
- J'imagine. Répondit Félix, peu avare de mots.
- Pourquoi vous êtes là ? »
Félix frotta le bout de sa chaussure contre le mur, nerveusement.
« Pardonnez-moi... Pardonne-moi, je préfère dire. Ainsi, il commença à le tutoyer. J'ai horreur de vouvoyer les gens. Pardonne-moi d'être intrusif, de t'aborder alors que tu n'as pas la moindre idée de qui je suis alors que moi, je sais qui tu es. »
Les yeux de Félix bondirent sur lui, à l'image des yeux d'une chouette en pleine nuit. La force et l'intensité de son regard purent presque traverser Paul. Il ouvrit la bouche, prêt à parler avant même qu'il ne sache quoi dire.
« Je connais encore mieux le garçon que tu cherches. Il est devenu mon ami. Nous avons construit une relation qui m'est très précieuse. Et pour lui aussi je pense. Lorsque je l'ai vu pour la première fois, il m'a paru cassé comme du verre. Il portait les marques de l'enfer dans ses yeux. C'était difficile...
- S'il vous plaît, dites-moi où je peux le trouver ! Lui coupa-t-il la parole, le visage plus pâle encore que la minute d'avant. »
Paul secoua la tête. Non.
« Je ne serais pas un bon ami si je ne te demandais pas pourquoi tu es ici avant toute chose. Je ne te demande pas de me convaincre en 60 secondes, tu ne me dois rien, à moi. Mais lui, tu lui dois la dernière année de sa vie qu'il a passé à la limite de se laisser crever, et ça passe par moi d'abord. Je veux pouvoir être là s'il venait à s'écrouler une nouvelle fois.
- ...
- Il remonte la pente, tu sais. Il y arrive. Il s'en sort...
- Il a quelqu'un.
- Il n'a personne. Je suis le seul qu'il ait ici dans cette ville. Je l'aime énormément, mais au titre d'un très bon ami.
- Je l'aime tellement.
- C'est parce que tu l'aimes alors, que tu es ici ?
- Je suis ici parce que... »
Félix s'arrêta. À avoir l'impression qu'il devait se justifier auprès de l'ami de Siloé, il en perdait ses moyens. Il réalisa que, jamais rien ne serait assez convaincant. Peu importe ce qu'il pourrait dire là maintenant, pour quelqu'un qui ne le connaissait pas, cela serait bien trop difficile de le croire. Il sortit de la poche de sa veste, une feuille de papier pliée en quatre. Lui faire lire tout ce qu'il avait imaginé dire à Siloé serait sa meilleure preuve de sincérité. Cette lettre, c'était toutes les combinaisons de ce qu'il avait dit à son père, ce qu'il avait dit aux parents de Siloé. C'était tout ce qu'il avait remué dans son coeur et sa mémoire pendant un an et même avant. C'était une belle lettre, remplie d'espoir et de projets. D'excuses, aussi, bien qu'elles soient insignifiantes face à la douleur qu'il avait provoqué. Félix ne comptait pas sur les excuses pour convaincre. Il comptait sur ce qu'il n'avait jamais fait : être sincère envers lui-même et remettre en question ses erreurs. Mais pour l'heure, il n'y a qu'à Siloé qu'il pourrait dire ces mots en face. Faire lire les mots par contre... Il tendit la lettre.
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Du vide et du vent (BxB)
RomancePour Siloé, voir Félix s'en aller sans se retourner, avec la certitude que jamais il ne rebrousserait chemin pour se jeter dans ses bras, c'était comme, ce doigt qu'on pose sur une source qui ne cesse de monter en chaleur... Ce n'était pas encore do...