La rue n'était pas inhabituellement calme. Tout le monde était déjà rentré du travail à cette heure-ci, ou presque. Il n'y avait personne sur les trottoirs de son quartier résidentiel. C'était le moment idéal pour partir sans être vu. Pourtant, Siloé traversa la rue un peu tremblant jusqu'à arriver devant la boîte aux lettres de la maison d'en face, la maison de Félix. Son Félix, qui n'était plus à lui. La porte de garage était ouverte, et la voiture du bourreau de son coeur y était garée. Félix n'était qu'à quelques mètres derrière ces murs en pierre. Il sentit sa présence sur chaque parcelle de sa fine peau. Comme des milliers de particules courant dans ses veines jusqu'à former une boule au creux de son estomac. Une boule atrocement douloureuse. Du genre qui dévore les organes et boyaux. Du genre à crever inlassablement sans que le coeur ne s'arrête. Jamais. Jamais tranquille. Ce fut douloureux au point qu'il ferma les yeux une poignée de secondes et inspira, pour ne pas mourir. Chaque fois qu'il pensait à Félix, il fallait penser à la reprendre cette respiration. Elle n'était plus innée. Il fallait se rappeler chaque nouvelle seconde de vivre.La porte d'entrée s'ouvrit abruptement sur une femme d'un certain âge. Elle portait un sac-poubelle à la main et sembla dans ses pensées. La mère de Félix surprit Siloé à regarder le garage. Elle posa le sac et s'adressa à lui :
« Oh bonsoir Siloé, tu veux voir Félix ? Il est là, tu peux entrer si tu veux. Ça fait vraiment un moment qu'on ne t'a pas vu à la maison ! commença la maman.
- C'est normal Madame, Félix m'a brisé le coeur. Répondit-il en ne la quittant pas du regard. »
Il y eut un blanc, seulement de quelques secondes, presque imperceptible. Puis Siloé continua, comme pour remuer le couteau dans la plaie :
« Mais je suis certain qu'il souffre autant que moi. Prenez soin de votre enfant Madame Armandie. »
Sans dire un mot de plus à la mère, il tourna les talons et continua sa route vers la sortie de la rue. Désormais, il se contenterait de laisser cette affirmation flotter dans les airs. À ne plus rien pouvoir perdre de déjà perdu, autant tout laisser filer. La femme n'avait sûrement rien dû comprendre aux paroles de ce dernier, elle qui n'avait jamais connu la passion qu'il avait entretenu avec son fils. Jamais personne n'avait su.
La bombe que Siloé venait de lâcher insinuait tout, mais il n'en avait rien à foutre. Il laissait tout ça entre les mains de Félix, dès à présent. Ce ne serait plus son problème à lui car tout pouvait bien péter qu'il s'en fichait. Il ne serait pas là pour le voir.
Oui. Félix l'avait rendu fou d'amour, puis il l'avait quitté. Félix avait quitté sa vie, et Siloé avait déserté sa propre raison par la même occasion.
Plus ses pas l'éloignèrent de l'endroit où il avait vécu, plus le goût de la vie et de l'envie revenaient dans sa bouche. Le goût d'un monde qu'il faut découvrir pour ne plus se contraindre seulement à survivre. Partir pour retrouver sa propre personne, celle qui avait fui, cachée sous les coups calamiteux de l'amour.
Au bout de la rue, un taxi s'arrêta sur le bas-côté. Le conducteur prit le sac de voyage de Siloé et lui demanda sa destination : l'aéroport le plus proche d'ici. Roissy Charles de Gaulle. Ces paysages de cités parisiennes, il ne les reverrait pas de si tôt.
Et bien qu'il était malheureux de ce qu'il allait faire endurer à ses proches, il n'avait plus d'autre choix. Partir de cette façon, c'était sa manière de ne pas partir, de manière plus tragique.
***
La maman de Félix suivit du regard le fils des voisins de ses grands yeux marrons. Il s'éloignait avec son sac de voyage. Bouche-bée, elle n'aligna plus une pensée cohérente. Elle en avait même oublié de prendre sa respiration, elle aussi. Ses poumons brûlants suffirent à peine à la réveiller de sa stupeur. Félix, son Félix avait-il brisé un coeur...? vraiment ? Elle fouilla dans sa tête, pinçant les lèvres à la recherche d'elle ne savait quoi. Ses bras raidis, elle referma la porte d'entrée après son passage et appuya son dos contre le bois glacé. Depuis le paillasson, elle aperçut son fils. Il était assis dans le fauteuil de la véranda, la tête tournée vers le jardin. Son visage n'était pas à portée d'yeux, caché. Elle passa une main devant sa bouche. Comment n'avait-elle pas vu que Félix, son bébé Félix avait brisé un coeur, et surtout, que le sien avait l'air d'être en pareil état.
***
Les lumières de l'aéroport Charles de Gaulle apparurent au loin. Illuminant la nuit, et les avions sur les pistes d'atterrissage. Siloé avait rarement mis les pieds dans un aéroport avant ce jour. Il aurait dû, il n'était jamais monté dans l'avion et le regrettait amèrement. Mais aujourd'hui était le jour, son jour à lui, celui de sa disparition et potentiellement celui de sa renaissance.
Le taxi le déposa au-devant d'une porte coulissante, il régla, pris ses bagages et entra dans le Hall.
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Du vide et du vent (BxB)
RomansPour Siloé, voir Félix s'en aller sans se retourner, avec la certitude que jamais il ne rebrousserait chemin pour se jeter dans ses bras, c'était comme, ce doigt qu'on pose sur une source qui ne cesse de monter en chaleur... Ce n'était pas encore do...