La toute première pensée qui traversa Paul à la suite de cette rencontre fortuite, fut pour ce Félix. Pour la toute première fois, un visage se dessinait en bonnes et dues formes sur un concept dont il avait entendu parlé par les larmes et la déchirure. Voici donc à quoi ressemblait la douleur d'aimer. Félix. Félix et ce visage qui ne laisserait jamais penser au premier inconnu qu'il puisse avoir causé autant de peine. Cet homme avait l'air profondément gentil. Siloé le lui avait assuré, même, et il n'avait pas de mal à le croire. Briser un coeur ne voulait certainement pas dire être une mauvaise personne. Mais Paul ne put s'empêcher de plonger son propre coeur dans la rancoeur. Siloé était devenu son ami. Un lien spécial s'était tissé entre eux, un lien de confiance. Les conséquences qu'il y avait sur son nouvel ami étaient trop grandes pour qu'il saute au cou de Félix et le prenne sous son bras.La seconde pensée qui traversa Paul, fut pour Siloé, qui s'écoulerait selon lui s'il avait été là, dans ce hall. Le jeune garçon descendait parfois dans l'un des salon pour attendre la fin du service de Paul. Ils se souriaient d'un bout à l'autre de l'immense pièce puis allaient boire un verre en ville juste après.
Siloé allait de mieux en mieux. Le garçon qu'il avait sous les yeux le jour de leur rencontre et le garçon qu'il avait vu la veille encore, n'avaient rien à voir l'un avec l'autre. Celui de la veille souriait, riait aussi, il blaguait, se révélait et surtout, les cernes qu'il avait sous les yeux diminuaient considérablement. Il semblait dormir d'un sommeil réparateur, bien plus qu'un sommeil d'oubli. Paul n'avait pas pu s'empêcher d'affaisser ses épaules, rejeter la tête en arrière et souffler. Pourquoi merde, fallait-il que ce Félix débarque à New York, au risque de faire péter toutes les améliorations de Siloé ?
Comment est-ce que son ami réagirait en apprenant qu'il était là ?
L'idée que Siloé sache la présence de Félix lui traversa l'esprit. Peut-être savait-il qu'il allait débarquer pour le voir. Après tout, il ne connaissait son ami que depuis peu de temps, il y a tellement de choses qu'ils ne savaient pas encore l'un sur l'autre. Mais à tout bien y réfléchir, ce n'était pas possible. Siloé avait littéralement tout plaqué, tout laissé derrière lui pour ne plus y penser. La sincérité fuyait à travers ses yeux. Jamais Siloé ne l'aurait fait venir. À aucun moment.
Alors Paul se demanda plusieurs fois comment est-ce qu'il avait trouvé sa trace, et s'était dit que... un individu étant amoureux, serait prêt à tout pour retrouver celui qu'il aime. Cette version-là paraissait bien plus belle que l'autre idée qu'il s'était faite, celle de venir pour lui remettre la tête sous l'eau encore et encore pour le tuer cette fois.
Il se demanda, Paul, quelle était le comportement à adopter. S'il aurait dû attraper Félix par le bras pour le saluer, juste le regarder dans les yeux un instant de plus ou le foutre sur le trottoir. L'homme avait payé sa chambre, il se ferait virer sans tarder d'une seule seconde s'il faisait ça à un client.
Il se demanda, s'il devrait aller taper à la porte de Félix pour mener avec lui une discussion constructive sur sa venue. Il se demanda, encore, s'il devait en parler à Siloé avant qu'il ne s'en rende compte tout seul. Il voudrait être là, au moment du drame, pour le soutenir s'il tombait dans les vapes. Etait-ce même son rôle d'aller tout dire à Siloé ? gâcherait-il quelque chose ? Quels seraient les mots justes pour lui expliquer ? serait-il pris au sérieux ? comment gérerait-il la multitude de réactions que pourrait avoir son ami ? ne serait-ce pas plus judicieux de laisser les choses se faire et d'être son pilier lorsqu'il aura besoin de réconfort ?
Paul n'avait jamais eu à gérer cette situation, et tous les comportements auraient pu être bons. Un bon ami se devrait de lui dire. Mais un bon ami, peut-être aussi, se devrait de l'accompagner là-dedans sans presser le temps. Manipuler un coeur brisé était une chose bien délicate, comme manipuler un oiseau aux ailes cassées. Le coeur de Siloé méritait qu'on en prenne soin, qu'on le prépare, qu'on l'amène. Ce soir, les deux hommes sortiraient. C'était une soirée prévue depuis des jours, dans une boîte de nuit gay de New York. La demande expresse de Paul était de ne pas se trouver entouré de femmes qui en voudraient à sa nudité ou même son intelligence. Sa femme l'attendait dans une base militaire à l'autre bout du monde. Il n'avait envie d'aucun faux pas. Et puis bon... une boîte gay, pour Siloé quoi. Parce que Siloé devait revivre un peu et que s'il s'autorisait à danser avec un homme ce soir, même sans rien de plus, alors tout le monde passerait une bonne soirée et ça l'aiderait certainement un peu.
« Putain mais Félix... Nous ne nous connaissons pas, tu avais pourtant l'air bien sympa, mais ne m'en veux pas d'avoir envie que tu ne sois jamais venu. Siloé voyait tout juste le bout du tunnel. »
D'ici quelques heures, Siloé et lui se retrouveraient et partiraient pour une soirée qui se devait amusante. Siloé s'amuserait peut-être, Paul ferait tout pour que ça soit le cas. Mais lui, se tourmenterait entre la vérité et la cachotterie et ce n'était pas, mais alors pas du tout confortable. Demain. Il lui dirait demain. Il laisserait encore un peu de répit à Siloé. Juste une nuit. Oui, demain il lui dirait.
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Du vide et du vent (BxB)
RomancePour Siloé, voir Félix s'en aller sans se retourner, avec la certitude que jamais il ne rebrousserait chemin pour se jeter dans ses bras, c'était comme, ce doigt qu'on pose sur une source qui ne cesse de monter en chaleur... Ce n'était pas encore do...