Faire le pied de grue dans son salon à regarder dans la rue les voitures passer s'avérait un programme stressant. Le planning du Commissaire Armandie était affiché sur le frigo, mais jamais respecté. Félix avait passé sa journée à attendre son retour prévu pour 14h. Il était 21h, seule sa mère était présente, dans le bureau de l'étage. Elle travaillait pour sa librairie. Autrement dit, Félix avait passé sa soirée à bondir au moindre moteur de voiture. Seul.Félix avait tout prévu, tremblait de ses mains. Pour la première fois depuis des mois, il n'éviterait pas son père. Du moins c'était sa volonté. Depuis le début de la crise, certes, mais cette fois il n'avait pas d'autre choix que d'esquisser un Traité de Paix. Son père lui manquait atrocement. Sa vie d'avant lui manquait atrocement.
Voilà quatre nuits qu'il tournait en rond des mots et bouts de phrase. Chaque mot qu'il avait à dire devait être pesé. Le premier mot après un an de silence était le plus compliqué. Dans sa situation, tous les suivants le seraient aussi. Face à son père, ce serait quitte ou double. Soit il se prendrait une nuée de toutes ses insultes qui n'étaient jamais sorties de la bouche de son père, soit il serait face au silence. Dans un cas comme dans l'autre, peut importe, il fallait que quelque chose se fasse. Au moins, aurait-il tenté ce qui lui tenait à coeur.
Monsieur Armandie poussa la porte de chez lui peu de temps après. Il était alors 21h45. Félix n'avait laissé qu'une lampe de chevet allumée à côté du canapé. Sa mère n'avait toujours pas décampé du bureau. Il resta sur ses gardes, les fesses posées, le dos bien droit. Il ne fuit pas en courant. Sachant pourtant très bien que de là où il était, son père serait forcé de passer à ses côtés.
Il vit son père enlever ses chaussures dans l'entrée, blanc comme un linge. La journée avait dû être difficile. Autant que la sienne, mais pour d'autres raisons qui ne touchaient qu'à son travail de maîtrise de l'Ordre. Lorsque Monsieur Armandie se retourna, il aperçut son fils, et alors leurs yeux se croisèrent pour s'emboiter. Juste quelques secondes, hors du temps. Un simple regard comme celui-ci n'était pas arrivé depuis des mois. Félix bloqua ses poumons sur l'arrêt. Les yeux bleus de son père n'avaient pas changé. Ils retenaient simplement de plus, un petit quelque chose du reflet de l'âme. Une âme qui n'allait pas mieux que la sienne.
Quiconque pousserait Félix d'un doigt, le verrait tomber à la renverse tellement il se sentait fébrile. Tout son corps réprima un spasme de peur. « Je peux avoir un câlin ? » Eu-t-il envie de lui crier depuis l'autre bout de la pièce. Il n'en fit rien. Un regard de sept secondes signait déjà un pas énorme.
Félix inspira fort, prêt à ouvrir la bouche et laisser filtrer un maigre sons. Un mot. Une phrase. Tout était prêt à l'intérieur de lui. Il se ravisa lorsque le Commissaire Armandie projeta ses yeux au sol et passa à ses côtés en coupant le contact visuel. Celui-ci monta à l'étage, accompagné d'un blanc sonore épouvantable.
À l'étage, la porte de la chambre conjugale se referma doucement, mais il l'entendit, les yeux dans le vide.
Expiré. Inspiré. Monter les escaliers, juste derrière ses pas.
Gravir chacune des marches en bois comme s'il montait à l'échafaud pour se faire pendre, quelle énergie et maîtrise de soi ça demandait. Beaucoup auraient rebroussé chemin pour continuer ce train de vie silencieux et abominable que demandait l'arrêt d'une relation entre un parent et son enfant.
Félix s'arrêta devant la chambre de ses parents et écouta. Il n'y avait aucun son dans la pièce de l'autre côté du mur. Personne n'y bougeait.
« Papa ? »
Le courage que demandait une appellation pareille après le rejet complet dont celui-ci avait fait preuve forçait les éloges. Son père était devenu un tel inconnu à ses yeux qu'il aurait très bien pu l'appeler Commissaire sans que cela ne fasse tache. Entre le silence et les insultes, c'était le premier qui avait gagné. Le vide d'une réaction, le vent d'un écho qui ne lui parvint pas.
VOUS LISEZ
Du vide et du vent (BxB)
RomancePour Siloé, voir Félix s'en aller sans se retourner, avec la certitude que jamais il ne rebrousserait chemin pour se jeter dans ses bras, c'était comme, ce doigt qu'on pose sur une source qui ne cesse de monter en chaleur... Ce n'était pas encore do...