Chapitre 31

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Siloé arriva au café pile à l'heure, lui qui d'habitude était toujours en avance. Paul, qui avait pour coutume d'être toujours en retard à son contraire, avait échangé sa ponctualité contre celle de Siloé et était assis sur son fauteuil depuis plus de quinze minutes. Le garçon s'excusa platement, mais le sourire aux lèvres, tendit une boîte en carton à Paul.

« Qu'est-ce que c'est ? »

Siloé lui indiqua d'ouvrir. Il y découvrit un panel de pâtisseries françaises. Son estomac gargouilla à l'odeur de l'éclair au chocolat. C'était super rare, de trouver des pâtisseries françaises bonnes aux Etats-Unis. Si elles ont l'allure physique, elles n'ont pas souvent la prétention d'avoir le goût qui suit. Mais cette fois, Siloé avait fait le tour de toutes les pâtisseries de New York dans les moindres ruelles pour offrir à Paul ce qui lui manquait le plus de la France et qu'il n'arrivait jamais à retrouver. Il s'exclama et le remercia longuement.

« Je vais faire comment maintenant si je dois aller claquer tout mon blé là-dedans ?

- Ton problème, pas le mien. »

S'il avait été un ami taquin, Paul lui aurait rétorqué que lui aussi aurait pu dire une chose pareille alors qu'il pleurait toutes les larmes de son corps dans son lit d'hôtel. Ton problème, pas le mien. Il ne le fit pas, cela aurait été affreux. Au lieu de ça, il se conforta en lui-même. Cela faisait plusieurs jours maintenant qu'il savait que Félix était présent, et il ne pouvait pas garder cela plus longtemps pour lui. C'était quelque chose qu'il fallait faire doucement, de manière tellement prudente que planter un couteau dans du beurre mou aurait été difficile comparé à ça. Dire ou ne pas le dire, telle était la question. Il estima que cela ne lui revenait pas de le faire.

Il avait lu les mots de Félix. La feuille était pleine de ratures, n'était pas destinée à être lue mais on lui avait donné ce droit, et ce que Félix y disait aurait fait prendre conscience à n'importe qui que l'amour méritait toutes les chances d'être vécu. Paul avait trouvé sa solution. Il ne dirait rien. Il provoquerait la rencontre, et il serait là lorsque Siloé aurait besoin de lui.

« Comment est-ce que tu vas Siloé ?

- Je vais bien, merci. Comment est-ce que tu vas Paul ?

- Je vais bien. Répondit-il en souriant. Il fit une longue pause avant de reprendre. Je pense très souvent à ce que tu as traversé. »

Siloé attrapa la tasse de café que le serveur venait de lui apporter. L'odeur du breuvage le rassura.

« Tu ne devrais pas te tracasser avec ça.

- Je me suis posé une question, en fait.

- Je t'écoute ? »

Il hésita, mais ne perdit pas la face, sachant pertinemment que le sujet serait sensible.

« S'il revenait..., qu'est-ce que tu ferais ? »

Siloé leva les yeux au ciel et souffla bruyamment. Il songea presque à récupérer la pâtisserie française que Paul tenait dans sa paume et tout garder pour lui pour le punir d'oser cette question.

« Tu me parles de quelque chose d'irréalisable Paul. Je n'ai pas du tout envie d'entendre ce genre de supposition ! Ce n'est pas ce qui va m'aider, tu le sais bien.

- Je te demande juste d'imaginer. S'il se présentait devant toi, s'il t'annonçait ses excuses, ses raisons, ses regrets et remords. S'il te demandait de revenir, qu'est-ce que tu ferais ?

- Je te déteste. Affirma Siloé en appuyant chaque mot.

- Non, ne prends pas cette peine. »

Siloé se renfrogna et termina son café d'une traite en évitant les yeux fixes de Paul sur lui. Il n'avait jamais osé songer à la question, et bien qu'il n'ait aucune envie formelle d'y répondre, cela lui força à y penser.

« Choisir une vie sans Félix, c'est comme opter pour une vie sans amour tu sais. Il y a ceux qui s'en remettent, et il y a ceux qui ne s'en remettent jamais. Et je suis de ces personnalités que l'amour domine pour espérer vivre heureux. Il pesa ses mots. S'il revenait, je serais en colère très longtemps contre lui. Je lui en voudrais de nous avoir fait subir une telle chose pour rien. J'aurais peur chaque jour de ma vie qu'il ne me quitte encore. Je prendrais peut-être le temps de le faire galérer, même. Mais ce serait pour encore mieux l'aimer une fois nos coeurs et nos esprits apaisés. Je serais capable de l'aimer encore plus. Ça me pousserait à considérer que la vie et le bonheur ne sont jamais acquis. Ça me pousserait à me défoncer chaque jour pour réussir à cultiver ce bonheur-là et le garder pour en profiter chaque jour comme si c'était le dernier. Il y a tellement de choses que j'aurais fait plus souvent en profitant de l'instant présent, si j'avais su ce qui était sur le point d'arriver.

- ...

- Félix... il n'a absolument jamais eu besoin qu'on lui donne une seconde chance pour quoi que ce soit. Il a toujours tout fait pour moi à la perfection. Je n'ai jamais rien eu à lui pardonner depuis le premier jour où je l'ai vu. Jamais de disputes, pas de rancoeurs, pas d'accrochages, pas de trahisons, pas toxique. Il prenait énormément soin de moi, tu vois. Il ne m'a déçu qu'une seule fois, et c'était ce jour-là. S'il revenait, on aurait tous les deux droits à une chance. »

Paul se sentit profondément touché. Son empathie naturelle lui serra le ventre. Les deux hommes qu'il avait rencontrés étaient faits l'un pour l'autre, personne n'aurait jamais son mot à redire à ça.

« À ta place... Siloé... Si ma copine m'avait fait ce coup-là, je pense que j'en serais réellement mort. Je ne sais toujours pas comment il est humainement possible de survivre à ça. Tu as des capacités hors-normes, toi et tout ceux qui l'ont vécu.

- J'aurais pu... J'aurais vraiment pu partir de mille manières, notamment en me flinguant. Mais alors, j'aurais emporté mon enfer jusque dans la mort et j'aurais vécu avec ma douleur pour l'éternité. Sans l'instinct de survie, nous serions mort dès le premier jour de notre vie. »

Les deux amis se séparèrent peu de temps après. Paul avait un cours important, qu'il aurait été prêt à sécher pour rester. Dans un autre contexte, dans une autre période, et dans un univers parallèle, Siloé aurait été son camarade de classe. Siloé aurait pris cet avion l'année dernière et serait venu faire cette école d'ingénieur pour lequel il avait tellement travaillé. Peut-être qu'ils n'auraient jamais été amis, à peine un bonjour le matin.

Sur le trottoir devançant le café, ils se firent face.

« Le ciel est très dégagé depuis quelques jours. Il n'y a jamais aucun nuage. Constata Paul.

- Ça fait beaucoup de bien à voir.

- Le coucher de soleil sera très beau vu d'en haut. En as-tu déjà vu un au sommet d'un building ?

- Non, il faisait toujours moche. »

Paul acquiesça, heureux pour son ami à la simple idée de le faire venir demain au sommet.

« Si tu n'as rien à faire demain, j'aimerais vraiment qu'on se retrouve au sommet du Top of the Rock. À 18h, ce serait le moment parfait pour l'admirer.

- Je serai là alors, ce serait un plaisir. »

Siloé sera là, demain à 18 heures, parce qu'il ne ratait jamais un engagement. L'ami en était certain, parce qu'il s'engageait toujours pour de bon dès lors qu'il parlait.

Paul lui souhaita une bonne après-midi et lui indiqua être pressé de le retrouver le lendemain. Il manqua simplement de lui dire que lui, bien que Siloé ne sera pas seul au rendez-vous, ne sera pas présent pour autant au sommet pour admirer le coucher du soleil à ses côtés.

Du vide et du vent (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant