Chapitre 6

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          Les poumons de Siloé lui brûlèrent la poitrine. Sa respiration, rapide et haletante peina à se reprendre à l'issue de sa course. Il portait à bout de bras son sac de voyage et son passeport, les jambes en feux d'avoir couru si vite. Il ne pensa même pas au nombre de personnes qu'il avait dû bousculer pour se donner une chance d'atteindre les portes d'embarquement dans les temps. Il ne restait qu'à le faire monter dans le fuselage de l'appareil. Les portes de l'avion étaient sur le point de fermer et il devait impérativement y monter.

Le steward lui donna le signe d'avancer vers la porte et le salua poliment. Siloé jeta un oeil à son billet. Place 24A. Milieu d'avion, milieu de cabine. Presque tous les sièges étaient occupés. Alors il jeta un oeil à l'ensemble de la cabine, immobile, et reprit une bouffée d'air emplie d'adrénaline. Tout son coeur lui faisait mal d'avoir couru, d'avoir eu mal, d'avoir eu peur, d'être terrifié.

Le steward posa une main dans son dos délicatement et lui pointa du doigt le siège qui lui était attribué, l'incitant à s'y asseoir le plus rapidement possible avant la fermeture définitive des portes. Il hocha la tête rapidement et se faufila entre les passagers qui mettaient leurs valises dans les rack à bagages. Siloé ne sentait plus ses jambes, ni plus rien du reste. Mordu de stress, mordu de tout, vivant d'une sensation qui lui bouffait les entrailles, autre que celle de la torture d'avoir aimé. Une sensation de vie, un état vivant. Les sensations que ressentirait une fleur en renaissant au printemps après un hiver mortel. Il se jeta dans son siège et ferma les yeux, essoufflé d'être arrivé jusqu'ici.

Sous ses pieds et contre son siège, il sentit les vibrations de l'appareil. Elles vibrèrent dans tout son corps, jusque dans sa nuque qu'il frotta avant d'ouvrir à nouveau les yeux. Au-delà du hublot, l'aile droite de l'avion trembla légèrement, comme ses mains. Sur l'écran du siège de devant, une annonce de consigne de sécurité passait, il ne la regarda pas.

Le bruit métallique de l'attache des ceintures retentit sur chaque siège à ses côtés. Siloé faufila alors sa main à côté de sa cuisse pour attraper l'une des sangles et rencontra à la place la chaleur d'une peau qui n'était pas la sienne. Il porta immédiatement un regard de stupeur à son voisin de droite, gêné et navré. Il échangea un regard avec le jeune homme à ses côtés. Ils posèrent un oeil curieux, découvert, l'un sur l'autre, qui ne s'interrompu que par le lancé d'une balle en caoutchouc. Un ballon jaune, leur tapant sur les poignets.

Ce ballon jaune, cette forme, et cette couleur..., horribles tous les deux. Un ballon jaune, tel qu'il ne voulait plus jamais en voir de toute sa vie, tel que la douleur martelait son corps en l'écrasant depuis le haut jusqu'à ce qu'il rentre dans le sol. Ce ballon, c'était le souvenir de Félix, et le souvenir de sa première rencontre avec le seul homme qu'il n'arriverait jamais à aimer. Ce ballon, qu'ils avaient eu sous les yeux chaque jour de leur amour parce que, c'était le leur, c'était ce qui symbolisait le bonheur de s'être rencontré et qu'il était jaune. Leur gris-gris, leur porte-bonheur, et la multitude d'échanges qu'il avait fait entre lui-même et les mains de son monde.

Ses mains..., Ses mains. Putain... Sa peau, dont chaque millimètre lui brûlait de manque. La vie sans Félix, c'était un tas de choses sans rien vivre, c'était voir un ballon jaune et avoir envie de se tirer une balle pour ne plus souffrir.

« Monsieur, mettez votre ceinture s'il vous plaît. Incita le steward en le tirant de ses pensées. »

Il leva les yeux à lui. L'homme tenait le ballon jaune entre ses mains, comme confisqué. Qu'il le rende à cet enfant imprudent..., qu'il l'emmène, loin, loin de lui. Qu'il le passe par un hublot, ce ballon jaune, c'était mieux que de risquer de se le prendre à nouveau sur la tronche.

Siloé retomba sur terre pour de bon et retira sa main de celle de son voisin. Platement, il s'excusa et ne lui prêta pas un seul regard. Siloé ne regardait plus les hommes. Il avait vu un instant les yeux du garçon à ses côtés, les avait trouvé radieux, s'en était détourné et laisserait ce souvenir s'oublier de lui-même. Non, Siloé ne regardait pas les hommes. Il avait regardé Félix un jour, et cela lui avait servi de leçon pour le restant de ses jours. Plus jamais il ne regarderait un homme comme il avait un jour regardé Félix.

Les Hôtesses et Steward firent un dernier tour de cabine pour vérifier le respect des consignes de sécurité et s'assirent à leur tour, à leur poste de travail. Siloé porta un doigt à sa bouche et se rongea l'ongle nerveusement. Alors c'était maintenant... C'était maintenant que tout se jouait, que sa vie reprenait vie, que ses songes reprenaient sens, que son futur pointait le bout de son nez ?

L'avion entra sur la piste et s'immobilisa. Le commandant de bord mit les gaz et l'appareil entama sa poussée sur le tarmac. Le jeune homme inspira profondément et ferma les yeux.

Vitesse numéro 1 dans le cockpit, le pilote peut encore interrompre le décollage sans que l'avion ne crash en bout de piste. Siloé pria pour que quelque chose arrive, n'importe quoi. N'importe quoi qui l'aide, qui décide de son destin à sa place.

Vitesse de rotation, l'avion ne put plus s'arrêter, se cabra et s'envola. Siloé alors, ouvrit les yeux et jeta un oeil à travers le hublot. Dans la nuit, les lumières de tout Paris scintillaient. C'était beau à voir. Des milliers d'étoiles. Des milliers de foyers et des millions de personnes. Des coeurs, qui avaient vécus et vivaient encore, une vie qui valait la peine d'être vécue, certainement.

Vivre pour ne pas se laisser mourir, mais partir. Au revoir, quand même... Au revoir Paris et le quartier du square Jandré. La maison 1124 et 1127 puis les deux familles qui y vivaient. Sa mère, son père et ses frères qu'il en était conscient, il allait détruire. À Félix, qui de son côté peut-être ne saurait jamais qu'il était parti. Au revoir à ses amis qu'il avait laissés et abandonnés parce qu'il n'avait vécu que pour un seul coeur. Au revoir, à cette vie qui n'avait aucun sens là où elle se passait. Et peut-être, Bonjour... Bonjour à New York, qui l'aiderait à tourner la première page du second bouquin.

Du vide et du vent (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant