Chapitre 7

42 11 1
                                    







          Les parents de Siloé n'étaient plus que l'ombre d'eux-même. Inconsolables, tous. Sa mère s'accrochait au soutien de la maman de Félix, assise à ses côtés. La voisine en question tenait ses deux mains entre celles de la mère déchue et les frottait de réconfort. Le petit dernier de la famille dormait dans le canapé d'à côté. Le petit gosse avait fini par tomber de fatigue au milieu du vacarme. Personne n'avait encore eu la présence d'esprit de lui expliquer, avec des mots d'enfant, pourquoi maman était dans un tel état second.

L'enfant du milieu, lui, n'avait jamais repris les manettes de sa console, alerté par l'envergure du problème. Il s'était isolé, et personne ne le cherchait. Il avait saisi, du haut de ses dix années. Il avait été capable de réaliser que, son grand-frère était parti et que... ça fait bien mal au coeur de ne pas comprendre pourquoi il nous a abandonné.

Le père de famille avait opté pour une position neutre, mais qui trahissait ce fameux dicton : « Être au pied du mur ». Il se tenait debout, bras croisés et tête baissée, dans un coin de la pièce, mur en face-à-face. Son visage trahissant l'impuissance d'un père à l'état pur.

Félix... Félix... Félix... eh bien Félix avait une piteuse envie de renvoyer le contenu de son estomac sur le pas de la porte d'entrée de ses voisins. Une armée de policiers venait de replier le camp après trois heures d'investigations. Il avait tenté de les retenir encore un peu, mais le voisinage avait été questionné, le peu d'amis que possédait Siloé avait été contacté. Il avait été vu pour la dernière fois en forme, annonçant de sa main un départ et une promesse de retour, avait revêtu sa majorité depuis quelques semaines, était parti de son plein gré avec pour dernier témoin connu, sa propre mère. Rien ne serait fait à moins d'une preuve irréfutable d'un danger imminent. Ce qui n'était pas le cas.

Siloé avait décidé de s'en aller, c'était son choix, et personne ne pourrait rien faire.

Personne. Ne. Pourrait... Rien. Faire.

Le garçon de vingt-ans avait les deux mains posées sur son abdomen. Comme pour éviter qu'il n'éclate. Le froid était glaçant. Puis, passant une main fragile dans ses cheveux, réalisant à peine la tournure que prenaient ses ressentis, il entra à nouveau dans la maison. Félix resta cloîtré une poignée de longues secondes dans l'entrée. Par l'alcôve du salon, il aperçut de coin la maman de Siloé. Il serra ses poings si forts que les jointures de ses phalanges devinrent blanchâtres. La douleur de ses ongles se plantant dans ses paumes n'était en rien comparable à celle que provoquait cette énorme pierre pleine d'épines, à l'intérieur de son coeur.

Le mal était accablant si bien qu'il ferma les yeux pour se reprendre. Son vide s'était terré, laissé de côté. Maintenant, c'était son inquiétude, qui était inébranlable.

Un instant, ses yeux bleus attirèrent ceux de sa mère. Pourtant à des mètres de lui, ils percutèrent sans peine toute sa personne, et surtout le garçon lamentable de regret qu'il représentait. L'alternance froid, chaud, lui monta à la tête. Cette fois, il allait peut-être réellement rendre son repas. Il fila à l'étage, le plus discrètement possible. Cette maison, il la connaissait comme la sienne. Il y avait vécu des moments si inoubliables qu'il faisait presque partie de l'histoire de ces murs.

Le jeune homme ferma la porte de la salle de bain sur son passage et se pencha au-dessus de l'évier, respiration accablée. Entre deux bouffées difficiles et saccadées, il esquissa quelques semblants de sons :

« Siloé..., Silo... Silo »

Siloé vivait devant chez lui. Ils respiraient le même air tous les jours. La fenêtre de leur chambre se faisait presque face, si bien que si les deux garçons se penchaient ne serait-ce qu'un peu, ils pouvaient se faire signe depuis l'intérieur et lire sur leurs lèvres. Rien qu'une route séparait leur deux portes d'entrée.

Siloé n'était plus dans sa vie. Mais il était toujours, encore, et éternellement dans son corps et malgré le mal insurmontable qu'il s'était infligé à eux deux, il continuait de rassurer son coeur en se disant qu'il n'avait qu'à traverser la route pour que Siloé soit là. Siloé était de l'autre côté de la route, à deux pas.

Siloé. N'était. Plus. Là.

Félix l'avait quitté. Pour des raisons justement injustes. Pour ne finalement, faire le bonheur de personne et le malheur de tout le monde. Félix aussi, avait un coeur en miette. À la Roméo et Juliette, mais sans les familles qui se détestent.

Le garçon pris d'un vertige, se retourna vivement au touché d'une main sur son épaule. Il planta ses yeux dans ceux de sa mère. Il ne lui avait pas décroché un mot depuis la veille au soir. Pour ce qui était d'une discussion, réellement, il n'aurait même pas su donner une approximation de temps :

« Maman. Chuchota-t-il pour ne pas se mettre à pleurer. »

Les larmes montèrent dans ses yeux rapidement et il déglutit pour tenter de les ravaler, en vain. Ses yeux s'embuèrent à grande vitesse. Jamais sa mère n'avait su. Jamais il n'aurait pensé qu'un jour elle puisse savoir. Son père lui, savait... Et son père, il ne lui avait plus adressé un regard depuis ce jour :

« Mais enfin Félix..., balbutia la mère. »

Le garçon resta immobile devant elle, scrutant son regard inquiet dans les moindres détails. Il avait peur, était pétrifié, mort de trouille. La bouche entrouverte, les mots peinèrent à sortir. Le garçon voulait tout dire, rien ne dépassait la limite de ses lèvres. Un méli-mélo dramatique et pathétique dans lequel Félix Armandie ne voyait pas d'échappatoire à sa détresse :

« Oh, maman..., Craqua-t-il enfin en se jetant dans ses bras. »

Elle l'accueillit contre elle et posa une main derrière la tête de son fils, la basculant sur le haut de sa poitrine. Son grand gaillard d'un mètre quatre-vingt quatre. Ce grand bout d'homme qui dépassait les têtes ne trahissait jamais sa virilité. Son grand-père disait de lui qu'il était : « Un vrai homme ». Il échappait des sanglots et des gémissements aigus, étouffés dans le comble du corps de sa mère. Il ne l'avait pas étreinte ainsi depuis des milliers d'années, lui paraissait-il. Il s'accrocha à elle comme si le monde s'écroulait.

Mais oui, son monde oui, précisément que son monde s'écroulait. Pour du vrai. Car il avait quitté Siloé, car il le regrettait, et qu'il ne pouvait plus rien y faire désormais.

Il imprima ce contact à l'intérieur de lui. Bientôt, ce qu'il avait sur le coeur devrait sortir, et alors peut-être que sa mère aussi lui échapperait. Il n'aurait plus personne. La vie serait fichue. Invivable.

La mère appuya sa joue sur le haut de la tête de son seul enfant, elle qui n'imaginait pas vivre un quart du tiers de ce qui arrivait à la famille du 1124 rue du Square Jandré. Elle l'accrocha à elle et ne le lâcha pas, pourtant secouée physiquement par les tremblements incontrôlés de celui qu'elle avait mis au monde.

Et tout faisait sens... maintenant. Tout faisait, pour la première fois, sens :

« Depuis combien de temps Félix ?

- Depuis toujours... »

Elle hocha simplement la tête, sans que Félix ne sache vraiment pour quelle raison.

« Et... et depuis combien de temps c'est terminé ?

- Dix mois. Un peu plus. »

- ...

- J'ai mal partout. J'ai vraiment très mal. Je vais m'écrouler de douleur. »

Du vide et du vent (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant