Paul lâcha la taille de Siloé rapidement et se recula pour lui sourire. Il lui tapota amicalement le bras, comme il le faisait systématiquement pour lui montrer son réconfort. Mais ce soir, c'était un peu lui-même qu'il réconfortait. Il avait devant lui, un Siloé aux yeux pétillants, envieux de sortir. Un garçon qui se sentait en phase à nouveau avec le train de la vie et qui ne fuyait pas l'Autre. Un homme qui revoit le jour se lever. Ses progrès se voyaient de jour en jour. Leur lien de confiance, de plus en plus établit.Paul se réconforta à l'idée de lui cacher, pour une soirée seulement, ce qui l'avait bouleversé plus tôt dans la journée. Il se rassura à l'idée de ne pas devoir lui dire maintenant, de reculer à demain cette chape de béton qui tomberait sur la tête de son ami dès lors qu'il saurait que la personne qui avait fait couler le bateau dormait à un étage de lui. Ne restait plus qu'à prier pour qu'ils ne se tapent pas l'un dans l'autre au beau milieu d'un couloir. Alors là ce serait dramatique.
Siloé lâcha lui aussi, l'étreinte de Paul. Si cette soirée en perspective pouvait lui faire du bien, le jeune homme perdit son sourire un instant. Quelque chose n'allait pas. Cela ne filait pas comme d'habitude. Dans ses narines, s'était faufilé un effluve revenu d'entre les morts. Une odeur qui lui donna envie de vomir tellement ses entrailles se tordirent sous son passage. Elle lui chatouilla les narines comme l'odeur d'un paradis perdu. Elle était arrivée comme le vent, dès lors qu'il était sorti de l'hôtel. Retraçant son passage, Siloé regarda tout autour de lui. Il n'y avait personne d'autre qu'eux dans la rue.
« Tu as changé de parfum Paul ? »
L'ami secoua la tête et fronça les sourcils. Siloé le fixa de ses yeux verts, lisant dans ceux de l'employé d'hôtel ses propres doutes. Il n'était pas exclu que quelqu'un d'autre puisse porter le parfum de Félix, ça ne lui était juste jamais arrivé d'en croiser. Cette odeur était si proche et si forte de celle de l'homme qu'il aimait et pourtant presque imperceptible. Il n'y a que lui qui aurait pu la déceler tellement il la connaissait dans ses moindres notes de tête et de coeur. Il la reconnaîtrait parmi un milliard. Siloé pâlit. Il se poussa et tira le cou jusqu'aux vitres de l'hôtel. Il balada son regard à l'intérieur, assez éclairé pour y cerner chaque élément.
« Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Paul soucieux. »
Siloé secoua la tête d'incompréhension. Il posa sur Paul des yeux hébétés mais rassurants.
« Rien. Tout va bien. On y va ? »
***
Commander au bar du boîte de nuit relève d'un certain art : celui de savoir crier assez fort pour être entendu par le barman mais pas assez tout de même pour ne pas se faire repérer par les hyènes alentours. Les hyènes ? les hommes. Les vautours pourrions nous dire peut-être aussi. Il ne suffisait pas d'être dans une boîte gay pour que ça en soit autrement. Siloé faisait exprès de ne pas tourner la tête. S'il le faisait, alors il verrait des tas d'yeux braqués sur sa silhouette. Tes tas d'yeux d'envie et d'envieux. Siloé ne mesurait pas le charme qu'il dégageait, jamais il n'avait pu se rendre compte de ce qu'il provoquait chez les autres.
Le garçon avait commandé une tournée de shots au bar. La première tournée, il avait fallu le supplier à genoux pour qu'il touche un verre. La seconde tournée, il avait simplement fallu lui demander de le boire. La cinquième, c'est lui en personne, qui avait décrété qu'elle lui était indispensable. Ainsi que celle d'avant.
Siloé se tenait accoudé au bar, des deux bras, penché en avant. Il fuyait le regard perçant de l'homme à côté en reportant les siens sur Paul et cette lesbienne aux cheveux blonds qui faisaient du air guitare depuis une trentaine de minutes. S'ils avaient été seuls, cela aurait été ridicule, mais le fait est qu'ils n'étaient pas les deux seuls à faire des trucs ridicules et qu'il se joindrait certainement à eux plus tard. L'alcool lui était un peu monté à la tête, tout de même pas assez pour qu'il ne la perde. L'homme d'à côté posa une main sur son bras et la remonta doucement mais fermement sous son regard. Il tenta de s'en dégager mais il le tint un peu plus difficilement entre ses longs doigts.
« Vous pouvez me lâcher ? demanda Siloé en anglais.
L'homme rit en retour et ne le lâcha pas avant qu'un jeune homme venant de nulle part ne vienne lui enlever cette main insistante de son bras.
« L'alcool ne rend pas sourd, lâchez-le, c'est ce qu'il vous a demandé.
Les yeux du jeune homme étaient foudroyants. Un véritable regard de météo orageuse. Ses pupilles se coloraient d'un gris profond parfaitement en adéquation avec son ton. L'homme harcelant se renfrogna et quitta l'espace bar. Siloé le suivit du regard et le vit disparaître entre les centaines de danseurs sur la piste. Il reporta ensuite ses yeux sur le jeune homme qui l'avait aidé. Mais qu'avaient tous ces hommes à vouloir le sauver... bon dieu...
« Merci, c'était gentil de votre part. »
L'autre secoua la tête, il n'y avait pas à le remercier d'avoir eu des yeux pour voir et des mains pour agir.
La barmade posa devant Siloé un plateau de dix shots. Il le prit entre ses mains et se tourna vers la piste. L'homme à ses côtés était tourné vers ce qui semblait être un ami. Ils attendaient eux aussi des consommations. À cinq mètres de là, Paul stoppa son air guitare et lui fit un signe. Il se retourna vers l'homme qui l'avait aidé et celui-ci baissa les yeux sur lui pour lui offrit un sourire bienveillant. Si son geste avait été gratuit et sans l'arrière pensée de prendre la place de l'autre petit con qu'il avait fait fuir, alors Siloé se devait de le remercier. Il se pencha vers son oreille et éleva la voix pour être entendu.
« Votre prénom c'est quoi ?
- Stanley !
- J'aimerais vraiment que vous veniez prendre un shot avec moi Stanley, pour vous remercier. Mes amis sont là-bas. Vous pouvez venir tous les deux. Proposa-t-il en pointant du doigt Paul. »
L'homme consulta son ami et hocha la tête, acceptant l'invitation. Ils suivirent Siloé, qui arborait un sourire gêné. Il avait vraiment besoin de ce shot. Ils arrivèrent auprès de Paul et cette blonde, tous les cinq formant une ronde avec au milieu, le graal des dix shots. Ils en prirent chacun un, trinquèrent d'un geste et portèrent leur verre à leurs lèvres.
À chaque nouveau shot, le liquide brûla un peu moins. Siloé le sentit à peine passer dans son oesophage. Une nouvelle musique démarra, il l'adorait. Alors l'alcool qui reprenait vie dans son corps, se manifesta. Il ferma les yeux et rejeta la tête en arrière, transpirant de chaleur. Il se sentit mieux. Il se sentit bien. L'effet désinhibé de l'alcool jouait son rôle. Rien ne pouvait l'atteindre en cet instant, il était le garçon le plus heureux du monde.
Il mouva son corps au rythme de la chanson. C'était un bon danseur. Plusieurs fois, il se cogna contre ses amis, cela ne faisait que renforcer son envie de danser encore plus et l'ambiance festive dont tout le monde profitait. À la force des mouvements et des longueurs des chansons, Siloé et Stanley s'étaient rapprochés l'un de l'autre. Siloé l'admira danser. Lui aussi était un bon danseur, cela se voyait qu'il travaillait son corps et qu'il venait souvent s'en servir dans les Clubs. Il se surprit à le détailler, à faire ce qu'il ne faisait plus depuis des mois. Cela faisait des années qu'il n'avait levé le regard sur un autre homme que Félix. Il y a quelques jours encore, il n'aurait jamais pensé ça possible de nouveau. Lui qui prétendait que jamais son coeur ne se libérerait. Et ce n'était pas le cas ! Son coeur était très loin d'être libre. Mais ici entre tous ses gens qui vivent la vie, en se remémorant ce que Paul lui disait sur le fait de profiter du monde, quelque chose était différent. Son sauveur, comme il l'appela dans son esprit, était un bel homme, gentil, bienveillant, protecteur, respectueux. Parmi les millions de personnes sur cette terre, parmi les millions d'excuses pour lesquelles Félix l'avait largué, il n'y avait que Stanley pour lui faire passer ce cap dont il n'avait plus voulu. Une danse. Oui, une danse n'engageait à rien pour le moment. Jamais sur cette terre il ne se mettrait en couple avec un autre homme, mais une danse, c'est beaucoup et rien à la fois.
Stanley et lui échangèrent un regard prévenant pour l'un, et attentif pour l'autre. Siloé n'avait besoin que d'un premier pas pour se laisser aller contre lui. Stanley lui prit la main, interrogea son regard et sous son acceptation, l'attira contre lui. Siloé ferma les yeux.
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Du vide et du vent (BxB)
RomancePour Siloé, voir Félix s'en aller sans se retourner, avec la certitude que jamais il ne rebrousserait chemin pour se jeter dans ses bras, c'était comme, ce doigt qu'on pose sur une source qui ne cesse de monter en chaleur... Ce n'était pas encore do...