Chapitre 4

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          Des passagers couraient dans les couloirs avec leurs valises volant derrière eux. Des hôtesses de l'air passaient sans cesse d'un côté à l'autre du Hall. Les hommes d'affaires, eux attendaient leur café devant les chaînes de restauration. Entrer dans un aéroport et passer dans les pas de milliers de passagers avant nous, un sentiment particulier.

Siloé n'avait aucune idée du sens dans lequel il devait aller, lui qui se trouvait là sans destination. Une sensation d'angoisse grimpa en lui. Un léger doute parcourut son esprit. Il fronça les sourcils et regarda le tableau des départs, si immense, qu'il contenait une centaine de vols en attente pour les quatre coins du monde. La lumière bleue de l'écran lui assassina les yeux et cela ne l'aida pas à déterminer son choix. Il n'y voyait rien du tout. Madagascar, Moscou, Tahiti, Rio... il y en avait trop sur ce tableau. Personne n'avait encore réuni toutes ces destinations en un seul pays. Encore faudrait-il être l'inventeur des rêves.

Siloé patienta quelques instants sous l'immense affichage, à regarder les gens passer devant lui. Tous ces gens étaient attendus, sauf lui. Non, personne ne l'attendait où il allait. La guérison peut-être seulement, osa-t-il à peine imaginer.

Il avait été trop difficile de savoir où partir. Le garçon perdu avait voulu laisser faire le sors, l'inconnu. La librairie de l'aéroport n'était pas très loin. Là-bas, le hasard lui indiquerait où il devait se rendre.

Il parcourut le magasin aux mille pages. Entre le rayons presse et les polars, il trouva les voyages, les guides touristiques, les cartes. Il prit au hasard une carte du monde. Chaque pays était représenté en bleu, vert, violet. Il pensa à Félix, et à leurs envies de voyages. Il pensa aussi à leurs rêves de hasard et de laisser la vie les porter, tant qu'ils étaient ensemble.

Siloé était seul, devant sa carte.

Le garçon s'accroupit au sol en étalant le globe en papier, le visualisa dans son entièreté et s'en imprégna. Puis, il enleva l'anneau qu'il avait au doigt. Sans hésiter une moindre seconde, il la lança comme dans un jeu de pile ou face. Le petit cercle en acier tomba sur la carte colorée et émit un léger tintement signalant à Siloé qu'il pouvait ouvrir ses yeux.

New York.

Le jeune homme sourit, se remémorant l'année précédente, lorsqu'il avait refusé l'opportunité d'y étudier. New York, devait-il rejoindre. New York, dont il avait rêvé sans l'atteindre parce que son amour pour Félix représentait l'avenir et l'espoir.

New York oui, c'était bien trouvé, New York...

***

La maman de Siloé appela pour la troisième fois ses trois enfants à table. Le petit dernier était arrivé le premier. Son menton dépassait à peine de la table. Celui du milieu avait eu du mal à décrocher sa console mais il était arrivé et s'était attablé à son tour. Seul Siloé, l'aîné, manquait à l'appel. Elle ne s'inquiéta pas, ni son mari d'ailleurs, car si Siloé avait ses écouteurs dans les oreilles il était régulier qu'il faille l'appeler dix fois avant qu'il n'entende quoi que ce soit.

La femme posa son Bourguignon sur la table. Cinq minutes après, Siloé n'était toujours pas là. Alors la mère laissa la famille commencer à manger et grimpa l'escalier jusqu'à l'étage. La chambre de son fils était juste à gauche. Elle poussa la porte et passa au crible la pièce. Personne, mais le téléphone de son fils y était posé :

« Siloé ? Appela-t-elle encore en entrant dans la chambre. »

Si son téléphone était là, alors son garçon était très certainement dans les parages. La mère de famille posa alors ses yeux sur le bureau. Un mot y était posé. Dans le semblant d'une seule seconde, son instinct de mère lui signala que quelque chose n'allait pas. N'allait pas... du tout.

Jamais, au grand jamais madame Evrard n'avait cessé de s'inquiéter pour ces enfants depuis la naissance de ceux-ci. Mais à la seconde où elle avait posée ses yeux sur le papier et lu les mots inscrits de la main de son fils aîné, c'est sa vie entière qui dégringola. Sa vie entière et son coeur de mère. La femme se sentit chanceler et se retint au bord du bureau, les ongles cassants de s'agripper au bois de cette force :

« Jean ! hurla-t-elle après son mari, à pleins poumons. »

Décidément, pour la première fois chez la famille du 1124 rue du Square Jandré, quelque chose n'allait pas. N'allait pas... du tout.

***

Il n'y avait pas la queue au guichet. Siloé arriva tout de suite devant l'agent d'escale qui le salua poliment. Le jingle de l'aéroport annonça un embarquement imminent pour la Martinique. Il éleva timidement la voix en s'adressant à lui :

« Bonsoir, j'aimerais un billet d'avion pour le prochain vol vers New York, s'il vous plaît.

- Laissez-moi une petite seconde, je jette un oeil au tableau des départs. »

L'homme s'exécuta, garda le silence le temps de sa recherche. Siloé le regarda s'activer, observa son allure. Il passa son badge devant un scanner et fronça les sourcils.

« Un embarquement ouvre pour New York demain, à 11h15 Monsieur. »

Le garçon ouvrit la bouche. Il n'était pas du tout prévu qu'il attende jusqu'au lendemain. Que ferait-il en attendant ? et si quelqu'un le retrouvait avant que l'aube n'ait eu le temps d'arriver ? Sans compter que Siloé aurait le temps de se dégonfler une vingtaine de fois avant de rejoindre la porte d'embarquement. Cette annonce le paniqua. Au nom de l'impératif, il fallait qu'il s'en aille. L'agent d'escale comprit son regard. Il jeta un oeil au sac de voyage du garçon et hocha la tête. Puis, il tapa sur les touches de son clavier une seconde fois.

« Si vous cherchez vraiment à rejoindre New York avant demain, un embarquement est en cours en ce moment mais il se termine dans moins de dix minutes. »

Siloé ne le montra pas, mais une étincelle incontrôlée fuit de ses yeux verts. Tout le ramenait à ce départ et cette vie dont il ne fallait pas passer à côté. C'était ce destin qu'il avait pris en main et qu'il ne fallait surtout pas lâcher. C'était cette destination et, c 'était maintenant.

« Eventuellement, je peux demander à ce qu'on vous attende trois minutes de plus, mais il va falloir courir vitesse lumière. »

Une éternité de décision s'installa dans la tête du garçon. Pourtant, à peine une seconde s'était écoulée en réalité. Tout était clair. Tout avait toujours été clair, depuis qu'il avait quitté son domicile.

« Je prends. »

Du vide et du vent (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant