Bluff

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« C'est un énorme malentendu, expliqua Naola d'une voix aussi calme et mesurée que possible. Un malheureux hasard, rien de plus. »

Libre de ses mouvements et accoudée à l'antique ilot en fer forgé d'une des cuisines de la villa engloutie par les neiges, la jeune femme aurait pu se sentir bien plus mal, même si elle se savait loin d'avoir récupéré de sa chute. Comme le témoignait la teinte violette de son bras droit, sa magie peinait à compenser ses multiples fractures. Néanmoins, l'ancienne athlète en hexoplan en avait vu d'autres et savait répartir son énergie au mieux pour réduire la douleur et la gravité des lésions. Au moins le temps de se tirer du guêpier.

De la main gauche, elle attrapa le verre d'eau mis à sa disposition et elle adressa un sourire crispé aux deux sorciers attablés en face d'elle. Le premier était venu la chercher dans la petite pièce dans laquelle ils l'avaient enfermée quelques heures et s'était présenté sous le nom de Josko, un quarantenaire sportif aux cheveux blonds et au nez busqué.

Le second n'avait pas eu besoin de s'introduire, Naola le connaissait de réputation comme de visage : Fillip Tomislav, l'un des sept subalternes directs de Leuthar, le leader de l'Ordre. C'était lui qui avait poursuivi et malmené la jeune femme bien que, dans la confusion de la fuite, elle ne l'ait pas identifié immédiatement. C'était de lui qu'elle devait absolument se méfier.

Josko lui rendit un sourire encourageant, puis, après un regard en biais vers Fillip, qui semblait surtout ennuyé par la situation, la questionna :

« Je serais curieux de savoir ce qu'une sorcière comme toi peut bien venir faire aux confins de la Fédération »

Naola, négligeant le tutoiement qu'elle aurait recadré en temps normal, tenta de chasser sa nervosité en se grattant l'avant-bras, mais le mouvement lui tira une grimace douloureuse. Elle se mordit l'intérieur de la lèvre pour rester focalisée sur ses deux objectifs : passer pour la plus inoffensive possible et laisser entendre qu'elle était, si ce n'est dans le même camp qu'eux, au moins impliquée dans des combines à la légalité douteuse. Pour cela, elle disposait d'un argument tout trouvé.

« On avait dans l'idée de piller cet endroit », expliqua-t-elle, en désignant le lieu du menton.

Le geste provoqua une vive douleur dans son épaule. Elle réprima un grognement, puis détailla dans les grandes lignes les investigations qui l'avaient menée jusqu'à cette villa, le pendentif qu'elle convoitait, la façon dont elle comptait le revendre.

« Vous pouvez contacter Jérôme Manson, à Stuttgart. C'est un receleur, il pourra vous confirmer que je travaille régulièrement avec lui. Et mes recherches sont dans mon sac, je peux vous les montrer.

— Va le récupérer », ordonna Fillip.

Josko s'exécuta, la laissant en face à face avec le lieutenant de l'Ordre. Grand, les épaules et la mâchoire anguleuses, il imposait par sa carrure autant que par son attitude. Le sorcier était assis en silence dans son impeccable veste grise où seule une marque sombre, discrètement placée près du cœur, trahissait son rang. Il fixait la jeune femme de ses yeux noirs, sans expression particulière, mais avec la certitude écrasante et paisible de ceux qui se savent en éternelle position de force. Naola, mal à l'aise, détourna le regard. Ce genre d'homme, tout à la fois calme à la surface, mais violent, à fleur de peau, lui figeait le sang. Un torrent en crue sous une glace épaisse.

« Qui était avec toi, en bas ? » demanda-t-il.

Au-dessus de leur tête, la voûte de congère ponctuée de stalactites résonna de sa voix grave. La lumière filtrait à travers la neige tassée qui remplaçait le plafond de la villa, projetant sur eux des couleurs bleutées. Naola, quelque part, se sentit rassurée : il faisait encore jour.

D'iris et d'acierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant