D'iris et d'acier

Poursuite

Naola, assise sur un tas de linge, resta une vingtaine de minutes dans le petit local technique à discuter avec Kímon par messages interposés. L'échange, bien qu'impersonnel, la rassura : Gamp débusqué, les mécas prévoyaient de se servir de lui pour leurrer l'Ordre. Au bout de la conversation, la jeune femme rangea l'appareil au fond de son sac à main, puis poussa un long soupir, soulagée par la tournure que prenaient les évènements.

Restait à présent à régler le problème de Mattéo.

Revenant vers la réception, la sorcière remarqua, sur son chemin, un gars qui lui sembla suspect. Là où les autres employés filaient à côté d'elle sans lui prêter la moindre attention, l'homme l'avait dévisagée quelques secondes avant de changer de route. Elle le retrouva en face d'elle, quelques instants plus tard, sur le demi-palier de l'escalier de service — étrangement désert — qui remontait à la salle principale. Il s'écarta, comme pour lui laisser la priorité. Naola, sur ses gardes, lui adressa un sourire et s'engagea sur les marches.

Il esquissa un geste vers elle, alors qu'elle le dépassait ; elle se jeta sur lui de toutes ses forces, épaule en avant contre sa cage thoracique. Il poussa un râle de surprise et tenta de lui saisir le bras, mais elle le coinça contre le mur, lui envoya son genou dans l'entrejambe, puis son coude dans le milieu du dos. L'homme s'effondra au sol, le souffle coupé. La jeune femme lui écrasa la main d'un coup de talon, puis shoota dans le concentrateur qu'il venait de lâcher. L'objet dégringola jusqu'à l'entresol dans un tintement métallique.

Sans se donner le temps de réfléchir, Naola s'élança vers l'étage supérieur, escaladant les marches quatre à quatre. La porte s'ouvrit juste avant qu'elle ne l'atteigne, laissant apparaître Josko et une autre personne dans son dos. La sorcière se rua sur la poignée et leur referma le passage sur la figure, profitant des quelques secondes gagnées pour s'enfuir toujours plus haut dans les niveaux. Elle tenta de se transférer hors de portée, mais constata avec horreur que le sortilège ne fonctionnait pas, probablement limité par les sécurités dressées autour du palais pour la soirée.

Hors d'haleine, elle déboucha dans les combles du bâtiment. Le grenier, désaffecté, servait de lieu de stockage et, d'un maléfice, elle attira à elle un large meuble qu'elle projeta contre l'entrée, puis déverrouilla la fenêtre la plus proche, enjamba le garde-fou et plongea dans la nuit noire. L'architecture du palais offrait, par chance, une couverture à la pente modérée sur laquel elle s'élança en jetant ses chaussures derrière elle. Un craquement de bois et de métal dans son dos lui indiqua que ses poursuivants étaient venus à bout de la massive commode. L'instant d'après, des sortilèges ricochaient sur le toit juste à côté d'elle. Elle se retourna pour répliquer et lança le premier maléfice qui lui passa par la tête : une incantation pour faire polir la carlingue des hexoplans ; les tuiles brillèrent sous la voûte étoilée. Naola aurait juré si elle n'avait pas été à bout de souffle. Sous la panique, aucune autre formule ne lui vint à l'esprit et elle maudit son idiot de cerveau tout en forçant ses jambes à accélérer l'allure. Le bord de la toiture se rapprochait à toute vitesse.

Elle poussa un cri de victoire en atteignant la cage de l'escalier de secours, dans lequel elle se précipita, dégringolant des cinq étages du palais. Elle devinait le chemin plus qu'elle ne le voyait sous le faible éclairage de veille. Au niveau du dernier palier, une silhouette se jeta sur elle par la gauche. Elle se contorsionna pour l'éviter, mais l'homme saisit un pan de sa robe à la volée et la tira avec force contre lui. Elle hurla, lutta contre le bras qui se resserrait autour de sa taille, envoya genoux et coudes à l'aveugle et mordit avec rage la main qui passa à sa portée. De surprise, son agresseur la repoussa, la projetant au bas de l'escalier. La jeune femme s'abattit contre les marches et roula jusqu'au sol où elle s'immobilisa.