Le réveil

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L'explosion de la motoneige, son souffle brûlant, Kímon projeté dans ses bras, la violence du choc, la chaleur de la déflagration, le vide.

Naola s'éveilla dans un cri à la fracture de son cauchemar, repoussa la poudreuse qui l'avait ensevelie, s'aperçut qu'il ne s'agissait que de draps et, pantelante, revint à elle, la peau moite hérissée de frissons, assise au milieu d'un lit et d'une chambre qu'elle ne parvint à identifier,

« Kímon ? murmura-t-elle en se prenant la tête entre les mains, des relents de panique au fond de la voix.

— Tu te trompes ! Moi, c'est Xâvier ! »

Naola sursauta et jeta un regard en biais vers le jeune homme qui venait de parler. Installé dans un fauteuil tiré près de la couche, il manipulait une éprouvette au-dessus du verre d'eau posé sur la table de chevet, comptant silencieusement les gouttes adjointes. Son cache-œil — Naola l'avait toujours connu borgne — émit un scintillement irisé lorsqu'il activa les propriétés de la mixture. Il la lui tendit, avec un grand sourire.

« Bienvenue au manoir. »

Naola observa la boisson plusieurs secondes, comme si son cerveau, toujours sidéré, peinait à la reconnecter aux actions les plus simples. Finalement elle saisit la préparation et l'avala d'un coup. Xâvier. Le manoir. Elle avait compris où elle se trouvait : le jeune borgne était le coloc et meilleur ami de Mattéo. Elle se détendit et, submergée par une lassitude intense, se laissa retomber contre le matelas. Elle se massa le front, constatant que la douleur lancinante qui avait accompagné son réveil se dissipait peu à peu. Xâvier était également un très bon sérumologue.

« Il y avait un méca... » articula-t-elle.

Elle toussa, surprise de sentir ses voies respiratoires encrassées.

« Combien de temps est-ce que j'ai dormi ? grommela-t-elle pour elle-même en reprenant son souffle. Il y avait un... un genre de webster avec moi là-bas, est-ce que vous l'avez trouvé aussi ?

— T'es restée inconsciente presque vingt-quatre heures, répondit-il pour commencer. Avec Mattéo, on t'a secourue, toi. Et on a découvert Fillip, enfin, son corps. Mort, alors on s'est vite tirés... »

Mattéo entra en trombe dans la pièce. Il poussa un soupir de soulagement, mais s'arrêta devant l'encadrement de la porte, figé. Naola détourna le regard sans savoir non plus quelle attitude adopter. Il l'avait abandonnée, puis sauvée, mais la somme de douleur et de conséquences survenues dans l'intervalle flottait entre eux, poisseuse de reproches, infranchissable. La jeune femme réalisa qu'elle n'aurait ni l'envie ni l'énergie de raconter son calvaire.

« J'ai eu tellement peur pour toi, balbutia Mattéo en réponse à sa distance.

— Bon, je vous laisse ! décida Xâvier en se levant. Vous avez plein de choses à vous dire. Mattéo, n'oublie pas qu'elle n'est pas en état pour...

— Ta gueule Xâv. »

Le borgne éclata de rire et sortit. Mattéo s'avança avec prudence, comme si elle avait été une sorte d'animal blessé. Naola s'en agaça, puis réalisa l'à-propos de cette image : allongée, le teint pâle, les cheveux collés par la sueur sur son front, le regard fuyant. Elle se redressa sur son séant pour chasser cette désagréable sensation.

« Fillip est mort ? » demanda-t-elle

Entre toutes les questions, celle-ci lui écorchait le moins la bouche. Mattéo, interdit, prit place dans le fauteuil. Leurs yeux s'évitèrent.

« On a trouvé son corps pas loin de toi, oui. On t'a évacuée immédiatement, de peur que l'Ordre arrive. Naola je... »

Il se tut, chercha ses mots et, en même temps, sa main entre les draps. Elle hésita à le repousser, puis lui céda le bout de ses doigts, sans pour autant répondre à son étreinte.

D'iris et d'acierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant