Louve

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Installée sur un tabouret en face de sa psyché, Naola peinait à dissimuler ses cernes et à redonner à son visage l'apparence de la santé.

Elle ne mangeait presque plus, ne dormait guère mieux et n'avait plus remis le nez dehors depuis sa rencontre avec Josko. Mordret, ces derniers jours, s'était même résigné à lui préparer lui-même des repas — du riz, des pâtes, des conserves — tant l'appétit l'avait quittée.

La jeune femme s'appliqua un sortilège censé hâler sa peau, farda avec soin ses paupières, maquilla ses lèvres de rouge, puis se jeta un regard critique et jugea le résultat convenable. Ou du moins suffisant pour atteindre ses objectifs de la soirée : reprendre contact avec les mécas, obtenir des informations sur Kímon, rompre avec Mattéo.

Son reflet, par ailleurs, lui renvoyait une étrange image d'elle-même, comme datée d'une autre époque. Elle avait retrouvé une vieille robe dans l'armoire de sa petite chambre : la première qu'elle ait jamais mise lors d'un événement mondain, à tout juste seize ans. Elle était surprise de rentrer encore dans le bustier. Aux fronces et aux dentelles, elle préférait maintenant la sobriété d'un lin, ou d'une belle soie ; seulement, elle ne se baladait pas tous les jours avec une tenue de gala dans son sac et il lui avait fallu composer avec ce qu'elle avait.

Elle se détourna du miroir, passa une capeline de fourrure sur ses épaules, poussa un très long soupir, puis descendit dans le vestibule du pub, pour prévenir Mordret de son départ.

« Cette tenue ne vous va pas si mal, en dépit des années », commenta le vampire.

Bras croisés, adossés au mur à côté de la sortie de service, il l'observait d'un air neutre.

« J'ai l'impression d'avoir quinze ans là-dedans, grogna la jeune femme.

— C'eût été dangereux que je me préoccupe soudainement de l'achat d'une robe de bal.

— Je sais, ne vous en faites pas. Je n'ai pas l'intention de m'attarder de toute façon.

— Faites attention à vous.

— Toujours »

Elle se transféra directement sur le parvis du Château de Solitude, sur l'aire d'arrivée des invités, et, sans un regard pour l'architecture ou les décorations de pyromagies, s'engouffra dans le hall d'entrée.

Mattéo surgit sur sa droite, vêtu d'un smoking probablement taillé sur mesure. Il s'arrêta net devant elle et lui prit la main en souriant.

« Je ne t'avais jamais vu dans ce type de robe, ça te va bien. »

Son regard, cependant, s'attarda sur son visage plus que sur sa tenue. Malgré toute sa bonne volonté, il ne parvenait pas à dissimuler son inquiétude. Naola ne l'embrassa pas et se contraignit à observer une distance de circonstances, la gorge serrée. Elle brûlait de l'étreindre, de se blottir contre lui, d'oublier toute sa situation, de redevenir sa simple copine, et pas celle qui allait lui imposer une rupture brutale et injuste. Loin de se douter de l'émotion qui ravageait sa compagne, Mattéo désigna la salle de réception d'un signe de tête :

« Notre place est tout au bout. Allons nous asseoir. »

La main au creux de la sienne, il l'entraîna à travers la pièce, zigzagant entre les tables et le ballet des sorciers majordomes qui multipliaient les aller-retour entre les websters, rangés sur les côtés, et les premiers invités installés. Les mécas devaient être relayés aux cuisines ou à la sécurité, dans les coulisses de la fête : on ne leur assignait jamais de missions de service auprès des Grandes Familles fédérales.

Mattéo tira sa chaise à Naola qui prit place sans le regarder. La poitrine comprimée par l'angoisse et le stress, elle devait être livide. Assis à côté d'elle, le jeune homme resta muet et les minutes s'accumulèrent comme autant de briques entre eux. Les yeux fixés sur ses doigts, dont les ongles s'agitaient nerveusement sur ses genoux, Naola osait à peine respirer.

D'iris et d'acierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant