Le départ

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Adossée à la tête du lit, les bras passés autour de ses genoux remontés, Naola observait Mattéo enfiler ses vêtements sans chercher à se retenir de sourire. Elle avait le cœur serré, la gorge nouée et la bouche amère, mais elle ne se lassait pas de cette scène familière, aussi réconfortante que poignante, puisque la dernière avant un long moment. Si ce n'était tout court.

Mattéo aurait pu, comme chaque sorcier normalement pressé, s'habiller d'un coup de sortilège : nu au sorti de sa douche, séché dans la seconde et paré de pied en cape la suivante. Mais, lorsqu'il en avait le loisir, il préférait toujours prendre son temps, passer chaque pièce avec soin, lisser le pli impeccable de son pantalon, attacher un à un les boutons de sa chemise, remonter, casser puis ajuster son col, ordonner ses cheveux à travers le miroir ; renvoyer dans la glace son sourire à Naola, se retourner vers elle et l'embrasser.

Il émit un long soupir, puis posa son front contre le sien, la serra contre lui.

« Ça va me manquer, ces matins avec toi, murmura-t-il.

— À moi aussi. »

Lovée dans ses bras, Naola ferma les yeux pour ne pas qu'ils débordent, savoura chaque seconde de leur étreinte, avant de la rompre et de se relever.

Elle allait quitter la Fédération. Ils avaient tourné le problème dans tous les sens : la tentative d'enlèvement — de meurtre ? — de la veille confirmait les menaces de Leuthar. Avec l'Ordre à ses trousses, elle ne se trouverait plus en sécurité nulle part sur ce continent. À contrecœur, au petit matin de leur courte nuit blanchie de leurs mots, Mattéo avait fini par admettre la solution proposée par Mordret : l'expédier rejoindre sa famille, outre Atlantique ; mettre en pause leur relation ou la rompre — ils n'avaient pas encore bien décidé.

Naola fit quelques pas dans la pièce et entreprit de rassembler, à mains nues pour gagner du temps, les affaires qu'elle laissait à demeure. Son regard se posa sur le petit bureau devant la fenêtre, parfaitement vide à l'exception de la seule décoration de la chambre : un cadre. Naola l'attrapa avec un sourire nostalgique. C'était une photo d'eux, à deux, lors de leur première escapade en amoureux, une remontée du Tibre en Hexoplan.

« Je peux l'emporter ? demanda-t-elle. J'ai le double à mon appartement, peut être que tu pourras la récupérer là-bas, dans quelque temps... »

Mattéo hocha la tête. Elle ne prendrait pas le risque de rentrer chez elle avant son départ.

Par delà les carreaux de la vitre, l'attention de la jeune femme glissa vers le parc en contrebas, comme une irrépressible envie de fuir. L'herbe parfaitement tondue s'étendait de ce côté du bâtiment jusqu'à une forêt qu'elle soupçonnait d'appartenir au domaine, mais Mattéo n'avait jamais jugé utile de lui faire visiter.

« Tu pourrais venir avec moi, lâcha-t-elle enfin — même si elle connaissait déjà la réponse. Il y a des équipes de course à quatre en Amérique aussi et je suis sûre que mes parents t'hébergeraient sans aucun problème.

— Je ne peux pas, Nao, souffla Mattéo avec douceur.

— Pourquoi ? Pourquoi tu ne pourrais pas ? demanda-t-elle, maîtrisant mal sa voix.

— Je ne peux pas laisser Xâvier tout seul ici », plaisanta-t-il pour esquiver une explication impossible.

Naola ferma les yeux et se força à garder une respiration normale. Elle soupçonnait une tout autre réponse, à cette question qu'elle n'aurait pas dû poser et qui ajoutait un vernis d'amertume à leur séparation. Mattéo l'enlaça par-derrière et enfouit sa tête contre son cou.

« Si je pouvais, vraiment, Nao, je te suivrais. Mais je ne peux pas. »

Ils avaient discuté la majorité de la nuit. Elle lui avait parlé des mécartificiés, de son rôle plus ou moins actif dans leurs opérations. Quand, tombée par hasard en sommeil, elle s'était encore réveillée en pleurs et en cris et il l'avait calmée, rassurée. Elle lui avait raconté le bourbier dans lequel il l'avait laissée, le froid, le sang et la mort passée si proche ; à demi-mot. Impossible d'utiliser des mots entiers, le traumatisme était bien trop vif.

D'iris et d'acierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant